La proposition par la Commission du règlement établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle ( 2021/0106 du 21 avril 2021) constitue un projet très ambitieux de forger un outil de référence des règles et des normes mondiales dans le développement et la mise en œuvre de l’IA :
« l’IA est un outil qui devrait se mettre au service des personnes et constituer une force positive pour la société afin d’accroître, en définitive, le bien-être de l’être humain » ( exposé des motifs § 1.1)
Se retrouve ici la même préoccupation sociétale qu’au RGPD : « le traitement des données à caractère personnel devrait être conçu pour servir l’humanité » ( règlement 2016/679 Considérant 4)
La solution proposée par ce projet de règlement repose sur la mise en conformité avant la mise sur le marché des systèmes d’IA, c’est-à-dire par des exigences obligatoires et applicables à la conception et au développement.
En pratique, cette solution repose sur :
- des normes techniques harmonisées obligatoires à respecter lors de la conception et du développement de l’IA,
- une harmonisation des dispositifs de contrôle des système d’IA après leur mise en œuvre (création d’un Comité Européen de l’Intelligence Artificielle, la désignation d’autorités nationales compétentes, création d’une base de données d’informations pour les systèmes d’IA à haut risque, plan de surveillance après commercialisation, partage d’informations sur les incidents et les dysfonctionnements, codes de conduite ).
L’analogie ici avec la méthode choisie au RGPD est frappante : il s’agit aussi d’une mise en conformité (compliance) avant la mise en œuvre, et des dispositifs de contrôle ex post.
Ce projet de règlement se singularise par son approche qui tout à la fois établit :
- un cadre juridique solide ( l’impératif de l’IA de confiance au regard des droits fondamentaux impactés par ces technologies ),
- et la souplesse pour s’adapter à l’évolution de la technologie qui touche tous les secteurs (mis en place d’un cadre contraignant sans pénaliser les investissement, l’innovation, et le développement des applications d’IA sur le marché unique et donc non fragmenté).
Cette proposition de règlement fixe des règles de compliance pour l’ensemble des participants à la chaîne de valeur où intervient de l’IA ( fabricants de produits, importateurs ou leurs mandataires, distributeurs, utilisateurs des systèmes d’IA à haut risque).
Cette proposition exclut les systèmes IA considérés à risques inacceptables et propose une approche proportionnée fondée sur les risques d’atteinte aux droits fondamentaux et promeut l’établissement des codes de conduite qui déclineront la nature des données en cause, la documentation, la traçabilité, la fourniture d’informations, la transparence, le contrôle, la robustesse et l’exactitude des système d’IA.
Autre caractéristique de cette proposition de règlement. Au contraire d’une approche qui aurait pu être sectorielle (par exemple l’automobile, la publicité … ), elle renforce la protection des droits fondamentaux reconnus par la Charte en les décrivant dans leur confrontation avec des système d’IA. Innovation juridique donc qui renforce les droits fondamentaux reconnus par la Charte : la règle de droit n’est pas nécessairement établie par la sanction de son manquement, mais par une évaluation des effets sociaux des circonstances dans lesquelles intervient l’IA.
L’effectivité des droits fondamentaux de la Charte se concrétise par l’interdiction de certaines pratiques (en ce sens l’article 5 du Titre III), et par les circonstances d’emploi de solution d’IA préjudiciables à ces droits dont la liste est d’ailleurs rappelée à l’exposé des motifs au § 3.5 :
… le droit à la dignité humaine (article 1er), le respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel (articles 7 et 8), la non- discrimination (article 21) et l’égalité entre les femmes et les hommes (article 23). Elle vise à prévenir un effet dissuasif sur les droits à la liberté d’expression (article 11) et à la liberté de réunion (article 12), à préserver le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, les droits de la défense et la présomption d’innocence (articles 47 et 48), ainsi que le principe général de bonne administration. En outre, la proposition renforcera les droits d’un certain nombre de groupes particuliers dans différents domaines d’intervention, notamment les droits des travailleurs à des conditions de travail justes et équitables (article 31), le droit des consommateurs à un niveau élevé de protection (article 28), les droits de l’enfant (article 24) et l’intégration des personnes handicapées (article 26). Le droit à un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de la qualité de l’environnement (article 37) sont également pertinents, y compris au regard de la santé et de la sécurité des personnes. Les obligations relatives aux essais ex ante, à la gestion des risques et au contrôle humain faciliteront également le respect d’autres droits fondamentaux en réduisant au minimum le risque de décisions erronées ou biaisées assistées par l’IA dans des domaines cruciaux tels que l’éducation et la formation, l’emploi, les services essentiels et l’appareil répressif et judiciaire. Dans les situations où des violations des droits fondamentaux se produiraient encore, les personnes concernées pourront bénéficier de possibilités de recours efficaces rendues possibles grâce à la transparence et à la traçabilité des systèmes d’IA, associées à de solides contrôles ex post.
La Commission maintiendra-t-elle ce projet, le Parlement et le Conseil l’accueilleront-ils favorablement ? Ce projet s’inscrit dans les orientations politiques de la Commission pour 2019-2024, il fait suite au livre blanc « Intelligence artificielle – Une approche européenne axée sur l’excellence et la confiance ». le Parlement s’est exprimé sur l’IA notamment par le vote de différentes résolutions le 20 octobre 2020 ( i) « Un régime de responsabilité civile pour l’intelligence artificielle », ii) « Cadre pour les aspects éthiques de l’intelligence artificielle, de la robotique et des technologies connexes », et iii) « Les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle ».