Comment définir une marque de couleur à supposer que cette catégorie de marques existe ?
La réponse est donnée par la Cour de justice le 27 mars 2019. L’arrêt est là.
La chronologie
20 septembre 2012 : en Finlande , dépôt de la demande de marque :
Avec les précisions suivantes: « Les couleurs du signe sont le bleu (PMS 2748, PMS CYAN) et le gris (PMS 877) »
La marque est demandée pour » Eaux minérales «
En cours de procédure, la déposante précise que sa demande porte sur une marque de couleur et non sur une marque figurative.
5 juin 2013 : l’Office rejette la demande d’enregistrement pour absence d’acquisition du caractère distinctif par l’usage en Finlande.
Après l’échec d’un premier recours, l’affaire vient devant le Korkein hallinto-oikeus. La Cour administrative supérieure finlandaise saisit la Cour de justice de trois questions préjudicielles sur la notion de marque de couleur au sens de la directive sur les marques 2008/95.
« 1) Aux fins de l’interprétation de l’article 2 de la directive [2008/95] et de la condition relative au caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, la question de savoir si l’enregistrement de la marque est demandé en tant que marque figurative ou en tant que marque de couleur est-elle pertinente ? »
La Cour de justice rappelle tout d’abord que les articles 2 et 3 de la directive ne font pas de distinction entre les catégories de marques.
Mais si la Directive ne les distingue pas, le déposant le peut-il ?
25 À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que le fait que l’enregistrement d’un signe est demandé en tant que « marque de couleur » ou « marque figurative » est pertinent pour déterminer l’objet et l’étendue de la protection conférée par le droit des marques, aux fins de l’application de l’article 2 de la directive 2008/95. En effet, la qualification du signe en tant que « marque de couleur » ou « marque figurative » contribue à préciser l’objet et l’étendue de la protection sollicitée au titre du droit des marques, dans la mesure où elle permet de spécifier si les contours font partie de l’objet de la demande d’enregistrement.
26 Quant à l’incidence de la qualification d’un signe en tant que « marque de couleur » ou « marque figurative » sur l’appréciation du caractère distinctif, il y a lieu de constater que, lorsque l’autorité compétente examine une demande d’enregistrement de marque, elle doit, pour déterminer si le signe, dont la protection est demandée au titre du droit des marques, revêt un caractère distinctif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95, procéder à un examen in concreto, en prenant en compte toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce, y compris, le cas échéant, l’usage qui a été fait de ce signe …
Mais s’agissant des couleurs, il s’agit également de tenir compte de leur nombre limité.
28 En outre, la Cour a jugé que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques de couleur sont les mêmes que ceux applicables aux autres catégories de marques. Les difficultés qui pourraient être rencontrées pour établir le caractère distinctif de certaines catégories de marques du fait de leur nature et dont il est légitime de tenir compte ne justifient pas de fixer des critères d’appréciation plus stricts, suppléant ou dérogeant à l’application du critère du caractère distinctif tel qu’interprété par la Cour à propos d’autres catégories de marques ….
29 Toutefois, si les critères relatifs à l’appréciation du caractère distinctif sont les mêmes pour les marques de couleur et les marques figuratives, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la perception du public pertinent n’est pas nécessairement la même lorsqu’il s’agit d’un signe constitué par une couleur en elle-même ou d’une marque verbale ou figurative. En effet, si le public a l’habitude de percevoir, immédiatement, des marques verbales ou figuratives comme des signes identificateurs de l’origine du produit, la propriété inhérente de distinguer les produits d’une certaine entreprise fait normalement défaut à une couleur en elle-même.
30 Ainsi, la Cour a jugé que, s’agissant d’une couleur en tant que telle, l’existence d’un caractère distinctif avant tout usage ne pourrait se concevoir que dans des circonstances exceptionnelles et que, même si une couleur ne possède pas, en elle-même et ab initio de caractère distinctif, elle peut toutefois l’acquérir à la suite de son usage en rapport avec les produits ou les services pour lesquels l’enregistrement de la marque est demandé
31 En outre, pour apprécier le caractère distinctif qu’une couleur en elle-même ou une combinaison de couleurs peut présenter en tant que marque, il est nécessaire de tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé
Mais n’y aurait-il de marques de couleur que sous réserve d’un usage qui établit l’acquisition de son caractère distinctif ? la Cour répond par la négative.
Après un rappel de procéder à un examen in concreto, c’est-à-dire pour chaque demande de marque, la Cour précise :
32 …… Ainsi, il serait contraire à un tel examen que ces autorités ne puissent reconnaître un caractère distinctif à une couleur en elle-même ou à une combinaison de couleurs qu’en raison de l’usage d’un tel signe de couleur en rapport avec les produits ou les services revendiqués.
33 De plus, lorsque le signe dont l’enregistrement est demandé en tant que marque est constitué d’une combinaison de couleurs désignées de manière abstraite et sans contours, il résulte de la jurisprudence de la Cour que la représentation graphique de ces couleurs doit comporter un agencement systématique associant celles-ci de manière prédéterminée et constante.
34 Ainsi, dans le cadre de l’analyse in concreto et globale du caractère distinctif, il convient d’examiner si – et dans quelle mesure – la combinaison de couleurs comportant un agencement systématique est susceptible de conférer au signe en question un caractère distinctif intrinsèque.
2) Si la qualification d’une marque en tant que marque de couleur ou de marque figurative est pertinente aux fins de l’appréciation de son caractère distinctif, la marque doit-elle être enregistrée, nonobstant sa présentation sous forme de dessin, en tant que marque de couleur, conformément à la demande de marque, ou peut-elle être enregistrée uniquement en tant que marque figurative ?
Autrement dit, comment déposer une marque de couleurs ?
37 En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique que, selon la demande d’enregistrement présentée par H….. , le signe dont la protection est sollicitée est représenté par un dessin en couleur aux contours délimités, alors que la qualification qui est donnée par H….. à la marque dont l’enregistrement est demandé porte sur une combinaison de couleurs sans contours.
38 À cet égard, il convient de souligner que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, un signe ne peut être enregistré en tant que marque que s’il fait l’objet par le déposant d’une représentation graphique, conformément à l’exigence figurant à l’article 2 de la directive 2008/95, en ce sens que l’objet et l’étendue de la protection demandée sont clairement et précisément déterminés
39 La description verbale du signe contribue à préciser l’objet et l’étendue de la protection sollicitée au titre du droit des marques.
Et la Cour citant les conclusions de l’avocat général :
« 40 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, mentionné……, lorsque, dans une demande d’enregistrement de marque, il existe une contradiction entre le signe, dont la protection est sollicitée sous la forme d’un dessin, et la qualification qui est donnée à la marque par son déposant et qui a comme conséquence de rendre impossible la détermination exacte de l’objet et de l’étendue de la protection sollicitée au titre du droit des marques, l’autorité compétente doit refuser l’enregistrement de cette marque, en raison de l’absence de clarté et de précision de la demande de marque.
41 En l’occurrence, le signe dont la protection est sollicitée est représenté par un dessin figuratif, tandis que la description verbale porte sur une protection qui concerne uniquement deux couleurs, à savoir le bleu et le gris. De plus, H….. a précisé qu’il sollicite l’enregistrement de la marque en cause en tant que marque de couleur.
42 Ces circonstances semblent révéler une contradiction démontrant une absence de clarté et de précision de la demande de protection au titre du droit des marques.
La Cour de Justice n’examine pas plus avant la 3ème question.
Ce que dit la Cour
1) L’article 2 et l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doivent être interprétés en ce sens que la qualification donnée à un signe lors de son enregistrement par le déposant, en tant que « marque de couleur » ou « marque figurative », constitue un élément pertinent parmi d’autres pour déterminer si ce signe est susceptible de constituer une marque, au sens de l’article 2 de cette directive, et si, le cas échéant, cette marquer evêt un caractère distinctif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, mais ne dispense pas l’autorité compétente en matière de marques de son obligation de procéder à une analyse in concreto et globale du caractère distinctif de la marque considérée, ce qui implique que cette autorité ne peut pas refuser l’enregistrement d’un signe en tant que marque au seul motif que ce signe n’a pas acquis de caractère distinctif en raison de son usage en rapport avec les produits ou les services revendiqués.
2) L’article 2 de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à l’enregistrement d’un signe en tant que marque du fait de l’existence d’une contradiction dans la demande d’enregistrement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.