« GB possède des bars à tapas en Espagne et utilise le signe CHAMPANILLO pour désigner et promouvoir ses établissements. Dans ses publicités, il utilise un support graphique représentant deux coupes remplies d’une boisson mousseuse ». Ces faits permettent à la Cour de justice, le 9 septembre 2021, d’étendre considérablement la protection apportée par le régime de l’appellation d’origine protégée AOP. L’arrêt du 9 septembre 2021 de la Cour de justice.
En effet, le 9 septembre 2021, la Cour de justice saisie par la juridiction de Barcelone reconnaît aux AOP une protection très large sans la limiter aux signes et aux produits qui seraient identiques ou similaires à ceux de l’AOP. Cet arrêt intervient sur la base du règlement n° 1308/2013.
La protection de l’AOP sur l’aspect visuel du produit avant déjà été soulignée, c’est là
Les emplois litigieux en Espagne
15 GB possède des bars à tapas en Espagne et utilise le signe CHAMPANILLO pour les désigner et les promouvoir sur les réseaux sociaux ainsi que par le biais de dépliants publicitaires. Il associe à ce signe, notamment, un support graphique représentant deux coupes remplies d’une boisson mousseuse qui s’entrechoquent.
16 À deux reprises, en 2011 et en 2015, l’Office espagnol des brevets et des marques a fait droit à l’opposition formée par le CIVC, organisme chargé de la protection des intérêts des producteurs de champagne, aux demandes d’enregistrement de la marque CHAMPANILLO sollicitées par GB, au motif que l’enregistrement de ce signe en tant que marque est incompatible avec l’AOP « Champagne », laquelle bénéficie d’une protection internationale.
17 Jusqu’en 2015, GB commercialisait une boisson mousseuse dénommée Champanillo et a cessé cette commercialisation à la demande du CIVC.
L’action en Espagne du Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne CIVC sur la base de la protection de l’AOP Champagne : sa demande est rejetée en première instance
18 Considérant que l’utilisation du signe CHAMPANILLO constitue une violation de l’AOP « Champagne », le CIVC a formé un recours devant le Juzgado de lo Mercantil de Barcelona (tribunal de commerce de Barcelone, Espagne) tendant à ce que GB soit condamné à cesser d’utiliser le signe CHAMPANILLO, y compris sur les réseaux sociaux (Instagram et Facebook), à retirer du marché et d’Internet tous enseignes et documents publicitaires ou commerciaux sur lesquels figure ledit signe et à supprimer le nom de domaine « champanillo.es ».
19 En défense, GB a fait valoir que l’utilisation du signe CHAMPANILLO en tant que nom commercial d’établissements destinés à la restauration n’entraîne aucun risque de confusion avec les produits couverts par l’AOP « Champagne » et qu’il n’a aucune intention d’exploiter la réputation de ladite AOP.
20 Le Juzgado de lo Mercantil de Barcelona (tribunal de commerce de Barcelone) a rejeté le recours du CIVC.
21 Il a estimé que l’utilisation du signe CHAMPANILLO par GB n’évoquait pas l’AOP « Champagne », au motif que ce signe visait non pas une boisson alcoolique, mais des établissements de restauration – qui ne commercialisent pas de champagne – et, par conséquent, des produits autres que ceux protégés par l’AOP, s’adressant à un public différent, et, partant, ne portait pas atteinte à cette appellation.
22 Le Juzgado de lo Mercantil de Barcelona (tribunal de commerce de Barcelone) s’est fondé sur un arrêt du 1er mars 2016 du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par lequel celui-ci a exclu que l’utilisation du terme Champín pour commercialiser une boisson gazeuse sans alcool à base de fruits, destinée à la consommation lors de fêtes pour enfants, portait atteinte à l’AOP « Champagne », compte tenu de la différence entre les produits concernés et du public auquel ils s’adressaient et malgré la similitude phonétique entre les deux signes.
23 Le CIVC a interjeté appel du jugement du Juzgado de lo Mercantil de Barcelona (tribunal de commerce de Barcelone) devant l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone, Espagne).
Les questions préjudicielles posées par la juridiction espagnole à la Cour de justice
« 1) Le champ de protection d’une appellation d’origine permet-il de la protéger non seulement vis-à-vis de produits similaires, mais également vis-à-vis de services qui pourraient être liés à la distribution directe ou indirecte de ces produits ?
2) Le risque d’atteinte constituée par l’évocation à laquelle les articles des règlements de l’Union mentionnés renvoient exige-t-il de réaliser principalement une analyse de la dénomination utilisée pour déterminer l’incidence de celle-ci sur le consommateur moyen, ou, pour analyser ce risque d’atteinte constituée par l’évocation, faut-il préalablement déterminer qu’il s’agit des mêmes produits, de produits similaires ou de produits complexes qui contiennent, parmi leurs composants, un produit protégé par une appellation d’origine ?
3) Le risque d’atteinte constituée par l’évocation doit-il être déterminé au moyen de critères objectifs lorsqu’il existe une identité ou une forte similitude des dénominations, ou doit-il être mesuré en tenant compte des produits et services évocateurs et évoqués pour conclure que le risque d’évocation est faible ou dénué de pertinence ?
4) La protection prévue par les règlements pertinents dans les cas où il existe un risque d’évocation ou d’exploitation est-elle une protection spécifique, propre aux particularités de ces produits, ou la protection doit-elle être nécessairement liée aux dispositions relatives à la concurrence déloyale ? »
L’étendue de la protection accordée par une AOP ne se limite pas à des produits, elle s’étend aussi à des services
46 Il s’ensuit que, si seuls les produits peuvent, en vertu de l’article 92 et de l’article 93, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, bénéficier d’une AOP, le champ d’application de la protection conférée par cette dénomination couvre toute utilisation de celle-ci par des produits ou des services.
Mais comment appliquer cette protection : « 53 si l’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1308/2013 doit être interprété en ce sens que l’« évocation » visée à cette disposition, d’une part, exige, à titre de condition préalable, que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou le service couvert par le signe litigieux soient identiques ou similaires et, d’autre part, doit être déterminée par le recours à des facteurs objectifs afin d’établir une incidence significative sur un consommateur moyen. »
La notion de similarité entre le signe litigieux et l’AOP ou entre les produits litigieux et ceux de visés à l’AOP n’est pas une condition de la protection
54 À cet égard, il y a lieu de relever, à l’instar de M. l’avocat général au point 44 de ses conclusions, que, si l’article 103, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1308/2013 précise que toute utilisation directe ou indirecte d’une AOP est interdite tant lorsqu’elle concerne des « produits comparables » ne respectant pas le cahier des charges lié à l’AOP que dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation de l’AOP, le paragraphe 2, sous b), de cet article ne contient aucune indication en ce sens que la protection contre toute évocation serait limitée aux seuls cas dans lesquels les produits désignés par l’AOP et les produits ou services pour lesquels le signe en cause est utilisé sont « comparables » ou « similaires », ni que cette protection serait étendue aux cas dans lesquels le signe se réfère à des produits ou à des services qui ne seraient pas semblables à ceux bénéficiant de l’AOP.
La protection de l’AOP par son évocation dans la perception du signe litigieux par le consommateur
59 En tout état de cause, la Cour a précisé que l’essentiel, pour établir l’existence d’une évocation, est que le consommateur établisse un lien entre le terme utilisé pour désigner le produit en cause et l’indication géographique protégée. Ce lien doit être suffisamment direct et univoque …..
62 La Cour a précisé que, dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une telle évocation, il convient de se référer à la perception d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ….
63 Cette notion de consommateur européen moyen doit être interprétée de manière à garantir une protection effective et uniforme des dénominations enregistrées contre toute évocation de ces dernières sur le territoire de l’Union……
Mais dans le marché de l’Union, cette perception de l’évocation doit-elle être prise en compte pour tous les consommateurs quel que soit l’Etat ou peut-elle n’être retenue que pour certains consommateurs ?
64 Selon la jurisprudence de la Cour, la protection effective et uniforme des dénominations protégées sur l’ensemble de ce territoire exige de ne pas tenir compte des circonstances susceptibles d’exclure l’existence d’une évocation pour les consommateurs d’un seul État membre. Il n’en demeure pas moins que, pour mettre en œuvre la protection prévue à l’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1308/2013, l’existence d’une évocation peut également être évaluée uniquement par rapport aux consommateurs d’un seul État membre………………
La Cour de justice fournit quelques éléments qui pourraient être pris en compte pour établir cette évocation
66 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1308/2013 doit être interprété en ce sens que l’« évocation » visée à cette disposition, d’une part, n’exige pas, à titre de condition préalable, que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou le service couvert par le signe litigieux soient identiques ou similaires et, d’autre part, est établie lorsque l’usage d’une dénomination produit, dans l’esprit d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’AOP. L’existence d’un tel lien peut résulter de plusieurs éléments, en particulier, l’incorporation partielle de l’appellation protégée, la parenté phonétique et visuelle entre les deux dénominations et la similitude en résultant, et même en l’absence de ces éléments, de la proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou encore d’une similitude entre les produits couverts par cette même AOP et les produits ou services couverts par cette même dénomination. Dans le cadre de cette appréciation, il incombe à la juridiction de renvoi de tenir compte de l’ensemble des éléments pertinents entourant l’usage de la dénomination en cause.
Le droit dit par la Cour de justice
1) L’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et (CE) no 1234/2007 du Conseil, doit être interprété en ce sens qu’il protège les appellations d’origine protégées (AOP) à l’égard d’agissements se rapportant tant à des produits qu’à des services.
2) L’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1308/2013 doit être interprété en ce sens que l’« évocation » visée à cette disposition, d’une part, n’exige pas, à titre de condition préalable, que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou le service couvert par le signe litigieux soient identiques ou similaires et, d’autre part, est établie lorsque l’usage d’une dénomination produit, dans l’esprit d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’AOP. L’existence d’un tel lien peut résulter de plusieurs éléments, en particulier, l’incorporation partielle de l’appellation protégée, la parenté phonétique et visuelle entre les deux dénominations et la similitude en résultant, et même en l’absence de ces éléments, de la proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou encore d’une similitude entre les produits couverts par cette même AOP et les produits ou services couverts par cette même dénomination.
3) L’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1308/2013 doit être interprété en ce sens que l’« évocation » visée à cette disposition n’est pas subordonnée à la constatation de l’existence d’un acte de concurrence déloyale, dès lors que cette disposition institue une protection spécifique et propre qui s’applique indépendamment des dispositions de droit national relatives à la concurrence déloyale.