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Annoncée depuis plusieurs années, la création de la Juridiction Unifiée du Brevet va profondément modifier les actions en nullité et en contrefaçon de brevets. Si une période transitoire et la possibilité de déroger à la compétence de cette nouvelle juridiction rassureraient les usagers des brevets, ces solutions ne risquent-t-elles pas de conduire à des brevets fantômes ?
D’ici quelques mois, les usagers du droit des brevets devront faire des choix :
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- celui de demander à l’Office Européen des Brevets la délivrance d’un brevet unitaire ou se limiter à des brevets européens tels que nous les connaissons actuellement,
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- et celui de renoncer ou non pour ces brevets européens et pour leurs demandes, à la compétence de la Juridiction Unifiée du Brevet.
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A priori, le choix de l’un commanderait-il le choix de l’autre puisqu’il n’est pas possible de déroger à la compétence de la Juridiction Unifiée du Brevet pour les brevets unitaires ? Une telle approche réduirait considérablement l’enjeu de ces problématiques pour les usagers des brevets, qui doit être mesuré invention par invention et non globalement par titulaire.
Il n’y a donc pas de lien impératif entre la réponse à donner à l’une ou l’autre de ces questions. Limitons-nous ici à la situation des brevets européens ayant fait l’objet de la renonciation à la compétence de la Juridiction Unifiée du Brevet.
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Pendant la période transitoire, la concurrence de compétences entre la Juridiction Unifiée du Brevet et les juridictions nationales pour les actions en nullité et en contrefaçon de brevets européens.
Si la Juridiction Unifiée du brevet s’est vu attribuer une compétence exclusive pour certaines actions relatives aux brevets unitaires, aux brevets européens, et à leurs demandes, ainsi qu’aux certificats complémentaires de protection, les juridictions nationales restent compétentes pour les autres actions. Mais ce ne sont pas ces autres actions (1) dont il est question ici.
La mise en œuvre de la Juridiction Unifiée du Brevet débutera en effet, par une période dite transitoire quant à sa compétence (2).
Concurremment avec la compétence exclusive de la Juridiction Unifiée du Brevet, il sera toujours possible pendant cette période transitoire d’engager une action en contrefaçon ou en nullité d’un brevet européen ou d’un certificat complémentaire de protection sur la base d’un brevet européen devant les juridictions ou autorités nationales qui jusqu’ici étaient les seules compétentes (3).
La période dite transitoire a une durée initiale de 7 ans à partir de la date d’entrée en vigueur de la Juridiction Unifiée du Brevet, éventuellement prolongeable une seule fois pour au maximum 7 ans (4) .
Au maximum, cette période transitoire pourrait donc durer 14 ans, mais actuellement la durée de cette période transitoire de concurrence des compétences est limitée à 7 ans.
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La juridiction compétente pendant la période transitoire en cas d’opt-out.
Pendant cette période transitoire, le titulaire d’une demande de brevet européen ou d’un brevet européen délivré ou échu (5) pourra renoncer à la compétence exclusive de la Juridiction Unifiée du Brevet, cette renonciation est généralement désignée par l’opt-out (6).
Sous réserve des périmètres respectifs des actions en nullité et en contrefaçon au sens de la Juridiction Unifiée du Brevet et des juridictions ou autorités nationales compétentes dans les Etats adhérents à l’Accord (7), pendant la période transitoire, la compétence des actions en nullité et en contrefaçon sera répartie de la manière suivante :
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- Brevets unitaires : ces actions restent soumises à la compétence exclusive de la Juridiction Unifiée du Brevet.
- Brevets unitaires : ces actions restent soumises à la compétence exclusive de la Juridiction Unifiée du Brevet.
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- Brevets européens en vigueur ou échus et leurs demandes publiées, et certificats complémentaires de protection basés sur un brevet européen :
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- Hors cas d’opt-out : ces actions seront portées devant la Juridiction Unifiée du Brevet ou devant les juridictions et autorités nationales qui jusqu’ici étaient compétentes.
- Cas d’opt-out : ces actions resteront de la seule compétence des juridictions et autorités nationales.
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- Brevets européens en vigueur ou échus et leurs demandes publiées, et certificats complémentaires de protection basés sur un brevet européen :
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La situation du titre bloqué hors de la Juridiction Unifiée du Brevet après la période transitoire.
Certes, l’Accord a prévu la possibilité d’un retrait à cette renonciation, c’est-à-dire que le titulaire du titre peut à nouveau le placer sous la compétence de la Juridiction Unifiée du Brevet, cette possibilité est désignée par l’opt-in (8).
Or, ce retrait devra être motivé ce qui n’est pas le cas de la demande d’opt-out. A ce jour, les conditions de cette motivation ne sont pas suffisamment décrites, Par conséquent, nous ignorons si la possibilité de ce retrait sera limitée ou non aux seuls cas d’opt-out illicites ou abusifs.
A cette incertitude sur la motivation d’un retrait, s’ajoute celle de sa date. La possibilité d’un retrait après la période transitoire n’est pas explicitement prévue (9).
Une situation au moins interdit la possibilité d’un tel retrait, l’engagement d’une action sur ce titre devant une juridiction nationale.
Or, à la fin de la période transitoire, la concurrence des compétences entre les juridictions nationales et autorités nationales et la Juridiction Unifiée du Brevet va cesser au profit de cette dernière.
La fin de la période transitoire sera-t-elle la fin des effets de l’opt-out ?
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- Soit la fin de la période transitoire conduira automatiquement à la fin de tout opt-out, mais cette hypothèse ne trouve aucun appui dans l’Accord ni dans les règles de procédure. Un tel automatisme paraîtrait sans commune mesure avec la motivation attendue en cas de demande de retrait, et serait contraire au blocage en cas d’action nationale.
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- Soit à la fin de la période transitoire, toutes les juridictions et autorités nationales des États adhérents à l’Accord ayant perdu leurs compétences sur ces titres, tous les titres encore soumis à opt-out ne pourront plus faire l’objet d’attaque en nullité ni d’action en contrefaçon !
Cette seconde hypothèse aussi surprenante qu’elle soit, placerait ce brevet bloqué hors de la Juridiction Unifiée du Brevet comme un brevet fantôme, un « Ghost Patent ».
Mais nous n’en sommes pas encore à la création d’une nouvelle catégorie de brevets, cette situation ne se révélera qu’à la fin de la période transitoire ou peut-être dans 5 ans quand le Comité Administratif de la Juridiction Unifiée du Brevet décidera de prolonger la durée de la période transitoire, ou que d’ici là les conditions de la motivations du retrait à la renonciation soient clarifiées. En attendant, ces brevets fantômes seront des « Phantom Patents ».
Philippe Schmitt, Avocat
Notes.
(Cet article a été publié le 27 janvier 2023 sur le site du village de la justice : JUB : quels effets réels au brevet européen bloqué par opt-out ?
On pourra également se reporter à l’article de 2013, L’essentiel de l’innovation européenne sera protégée par la Juridiction Unifiée créée avec le brevet unitaire)
1. Prévues à l’article 32, 1 de l’Accord sur la Juridiction Unifiée du Brevet.
2. Trois mois avant cette entrée en vigueur une période dite de Sunrise aura débuté pour le greffe de la JUB, L’Office Européen des Brevets de son côté a également prévu des mesures permettant de différer la délivrance des demandes de brevets pour viser des brevets unitaires.
3. Article 83, 1 de l’AJUB.
4.Article 83, 5 de l’AJUB.
5. Règles 5 du règlement de procédure de la Juridiction Unifiée du Brevet.
6.Article 83, 3 de la version anglaise de l’AJUB.
7.À combiner également avec la compétence internationale de cette nouvelle juridiction article 31 de l’AJUB.
8.« The withdrawal of the opt-out » à l’article 83, 4 de la version anglaise.
9. Certes « à tout moment » est indiqué, mais c’est au point 4 de l’article 83 intitulé « Régime transitoire » de la partie IV « Dispositions transitoires ».