Titulaires de brevet ou de marque, attention à votre responsabilité en cas de mesures provisoires ultérieurement abrogées

Avant que le tribunal ne se prononce sur la contrefaçon, différentes actions sont à la disposition des titulaires de droit de propriété industrielle.

Parmi celles-ci, la saisie-contrefaçon mais aussi des mesures judiciaires contre un supposé contrevenant pour interdire la mise sur le marché des produits argués de contrefaçon.

Si ces mesures se trouvent ultérieurement abrogées, par exemple quand le titre invoqué est finalement annulé, la responsabilité du titulaire du droit est-elle engagée même sans faute de sa part ?

La Cour de justice, le 11 janvier 2024 y répond. L’arrêt

Dans le cadre d’un litige entre Mylan AB et Gilead Sciences., c’est un CPP qui a été invoqué en Finlande, son titulaire engageant un procès en contrefaçon et demandant des mesures provisoires.

1°) Des mesures provisoirement prononcées et ensuite abrogées

17 Par décision du 21 décembre 2017, le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) a fait droit à la demande de Gilead e.a. visant à obtenir des mesures provisoires sur la base du CCP en cause et a interdit à Mylan, sous peine d’une amende de 500 000 euros, d’offrir, de mettre sur le marché et d’utiliser le médicament générique en cause pendant la durée de validité du CCP en cause, ainsi que d’importer, de fabriquer et de détenir le médicament générique en cause à ces fins. Il a, en outre, ordonné le maintien en vigueur de ces mesures jusqu’à ce qu’il soit statué sur le fond de l’affaire, ou jusqu’à nouvel ordre.

18 Les mesures provisoires susmentionnées ont ensuite été annulées, à la demande de Mylan, par décision du Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande) du 11 avril 2019.

19 Par jugement du 25 septembre 2019, le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) a annulé le CCP en cause. Ce jugement a fait l’objet d’un pourvoi devant le Korkein oikeus (Cour suprême) qui, par décision du 13 novembre 2020, a rejeté la demande d’admission du pourvoi de Gilead e.a., rendant ainsi définitif ledit jugement ».

2°) Le titulaire du CCP se voit demander d’indemniser le préjudice subi de plus de 2 millions d’euros.

« 20 Sur le fondement de l’article 11 du chapitre 7 du code de procédure juridictionnelle, transposant en droit finlandais l’article 9, paragraphe 7, de la directive 2004/48, Mylan a alors demandé au markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques), juridiction de renvoi dans la présente affaire, de condamner Gilead e.a. à lui verser des dommages-intérêts d’un montant de 2 367 854,99 euros, majorés d’intérêts de retard, en réparation des dommages causés par les mesures provisoires obtenues inutilement sur la base du CCP en cause, qui a été par la suite annulé ».

3°) La législation finlandaise prévoit une responsabilité sans faute pour les demandeurs de mesures provisoires.

La juridiction finlandaise interroge la Cour de justice sur cette disposition de droit national issue de la directive 2004/48/CE qui prévoit aussi des garanties pour dédommager les défendeurs en cas de mesures injustifiées.

  • Pour Mylan : rien à la directive ne s’oppose à ce régime de responsabilité sans faute.
  • Au contraire, selon Gilead, il n’y a pas d’obligation de réparation pour la seule raison que le CCP en cause a par la suite été annulé.

4°)Un régime de responsabilité sans faute est reconnu par la Cour de justice.

Pour la Cour de justice de l’Union européenne l’article 9, paragraphe 7, de la directive 2004/48/CE n’impose pas un régime de responsabilité spécifique et laisse aux États membres la liberté de choisir pour un régime de responsabilité sans faute.

Ce que dit exactement la Cour :

« L’article 9, paragraphe 7, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à une législation nationale qui prévoit un mécanisme de réparation de tout dommage causé par une mesure provisoire, au sens de cette disposition, fondé sur un régime de responsabilité sans faute du demandeur de ces mesures, dans le cadre duquel le juge est habilité à adapter le montant des dommages-intérêts en prenant en compte les circonstances de l’espèce, en ce compris l’éventuelle participation du défendeur à la réalisation du dommage ».