Jusqu’ici la licence d’office du droit des brevets ne semblait destinée qu’aux pays les plus pauvres. Or par un retournement de situation, des spécialistes de la propriété industrielle la préconisent « pour faciliter la fabrication de vaccins sur le territoire français » ! Une telle proposition est-elle adaptée à la situation actuelle ? ( Article publié le 18 mars sur le site du Village de la justice)
Rappelons que dans le domaine de la pharmacie, le brevet a mauvaise presse car associé au profit de la big Pharma et aux difficultés d’accès aux médicaments par les populations les plus défavorisées.
Ainsi Le Monde Diplomatique présente en première page de son numéro de mars 2021 un titre « les brevets, obstacle au vaccin pour tous », où est rappelée la promesse avancée en mai 2020 mais non tenue des vaccins « biens publics mondiaux ».
Face à une pandémie mondiale, certains préconisent la suppression des droits de propriété industrielle sur les vaccins, d’autres proposent sous différents termes, – licence d’office, obligatoire, judiciaire, gouvernementale ou encore réquisition -, une autre solution : l’exploitation de l’invention sans l’autorisation du titulaire du brevet. Principal mérite de cette seconde possibilité, elle est prévue par le droit des brevets, c’est le sens de la tribune « Pour une politique du brevet au service de la santé publique » publiée le 11 mars.
Les signataires sont cette fois des spécialistes de la propriété industrielle. Mais ils préconisent la licence d’office pour « faciliter la fabrication de vaccins sur le territoire français ». Ce qui constitue un singulier retournement de situation puisque le recours à la licence d’office n’était envisagé que pour les pays les plus pauvres.
Première surprise aucun industriel parmi ces professionnels des brevets.
Absence d’autant plus remarquée que les difficultés rencontrées aujourd’hui pour les vaccins sont selon la Commission européenne des difficultés de production industrielle. A quoi bon que le gouvernement français enclenche un mécanisme de licences d’office ou de réquisition si les capacités de production sur le territoire national font défaut ?
Quel vaccin soumettre à la licence d’office ou à cette réquisition ?
Quatre vaccins bénéficient déjà d’une autorisation de mise sur le marché en Europe. Un des quatre laboratoires a déjà indiqué qu’il n’opposerait pas ses brevets pendant la pandémie. D’autres vaccins sont toujours en cours de mise au point, et la Commission fait état de négociations contractuelles avec 8 laboratoires.
Ce choix fait, serait-il le bon ? Initialement la Commission a favorisé un large éventail de candidats vaccins reposant sur différentes approches technologiques pour maximiser les chances. Les polémiques de ces derniers jours sur l’efficacité et les risques d’un des trois premiers vaccins montrent qu’en la matière les choix et les prévisions peuvent être remises en cause, sans parler de l’arrivée de nouveaux variants.
Imagine-t-on le gouvernement français financer des unités de production qui se révéleraient inutiles ?
La licence d’office n’est pas « une expropriation » mais « un mécanisme équilibré » qui respecte « les intérêts de ceux qui ont misé sur la recherche et su la mener à bien en leur garantissant des redevances ». Il s’agirait donc selon cette tribune de verser des redevances à ceux qui n’ont pas respecté leurs engagements contractuels !
Rappelons que l’Union européenne succédant à des initiatives de différents Etats dont la France, a contribué très tôt par des financements aux travaux de recherche et développement en contrepartie de quoi les laboratoires se sont engagés à fournir les volumes de doses, engagements, – sous réserve de ce que prévoient ces contrats non publics -, qu’ils n’arriveraient pas à respecter.
Solution franco-française donc, cette proposition vise à une production sur le territoire français de doses de vaccin pour satisfaire les seuls besoins de sa population. Une telle proposition va à l’encontre de la solidarité qui doit exister entre les Européens, elle est contraire à tous les mécanismes de libre circulation des produits au sein de l’Union européenne, principe sur lequel s’est construit le droit de la propriété industrielle depuis plus d’une cinquantaine d’années. Pire encore, une telle solution franco-française ignore la spécificité d’un monde où toutes les personnes souhaitent circuler librement et qui nécessite par conséquent d’éradiquer le virus quel que soit le pays.