Conflit entre marques et AOP et IGP ou quand le juge administratif contrôle une mesure d’interdiction d’emploi de marques
Classiquement le droit des marques relève des juridictions civiles, illustration de la situation inverse avec l’arrêt du Conseil d’État du 12 juillet 2021 où à des marques sont opposées une appellation d’origine protégée (AOP) et une indication géographique protégée (IGP).
Une chronologie judiciaire où le Conseil d’Etat intervient pour la seconde fois.
30 juillet 1993 : dépôt de la marque « Cuvée du golfe de Saint-Tropez ».
15 juillet 2003 : dépôt de la marque « Le grimaudin ».
8 août 2013 : la direction régionale de la concurrence de PACA enjoint à une société viticole de retirer de l’étiquetage de ses vins d’appellation d’origine protégée (AOP) « Côtes de Provence », et de l’ indication géographique protégée (IGP) « Var, « toutes mentions faisant référence aux unités géographiques « golf de Saint-Tropez », « Grimaud », et « Cogolin » » .
17 juillet 2015 : le Tribunal administratif de Toulon se déclare incompétent pour examiner la demande d’annulation présentée par cette société viticole contre la décision de la DGCCRF.
20 décembre 2016 : la Cour administrative d’appel de Marseille annule le jugement, retient la compétence de la juridiction admirative mais rejette comme irrecevable la demande de la société viticole.
7 décembre 2018 : le Conseil d’État annule la décision de la Cour administrative en ce qu’elle a rejeté la demande d’annulation de la décision du 8 août 2013.
28 juin 2019 : la Cour administrative d’appel de Marseille annule la décision du 8 août 2013.
12 juillet 2021 : sur pourvoi du Ministère de l’économie et avec l’Intervention de l’INAO, le Conseil d’État se prononce.
Très (très) bref rappel de la législation communautaire sur les dispositions communautaires.
Les règlements 479/2008 et 607/2009 à propos des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées prévoient entre autres dispositions :
- les conditions dans lesquelles les noms d’unités géographiques plus petites que les zones à la base de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique peuvent être utilisés,
- la situation des marques commerciales établies par l’usage [avant une certaine date] qui contiennent ou consistent en un nom d’une unité géographique plus petite que les zones à la base de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique ou encore à des références à la zone géographique concernée.
Quel juge peut interdire l’emploi d’une marque, qui est présentée classiquement comme un droit de propriété ?
Les marques sont régies par des dispositions spécifiques comme le rappelle le Conseil d’Etat :
- En second lieu, aux termes de l’article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle : » L’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu’il a désignés « . L’article L. 713-2 du même code précise : » Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : (…) / b) La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée « .8. D’une part, les dispositions de l’article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle, qui ont pour objet et pour effet de permettre au titulaire du droit de propriété de garantir l’utilisation et la protection de ce droit et notamment d’empêcher la contrefaçon ou l’usage frauduleux de la marque qu’il a régulièrement déposée, ne font pas obstacle à ce que les pouvoirs publics interviennent pour réglementer le droit de propriété, pourvu que cette réglementation soit conforme aux principes qui en régissent la protection. 9. D’autre part, les dispositions de l’article L. 713-2 du même code ont pour seul objet d’interdire, sauf autorisation du propriétaire, les altérations matérielles d’une marque apposée sur un produit, par une intervention physique d’un tiers sur celui-ci, et ne régissent pas les conditions dans lesquelles la réglementation nouvelle s’applique à l’égard de marques enregistrées.
Autrement dit, l’interdiction des marques n’aurait-elle pu être prononcée qu’après leur annulation comme l’a retenue le second arrêt de la Cour administrative de Marseille pour annuler la décision du 8 août 2013 ?
La réponse négative de principe du Conseil d’Etat :
- Pour faire partiellement droit à la demande de la SCV ……., la cour, après avoir rappelé les dispositions du b) de l’article L. 713-2 du code la propriété intellectuelle, a jugé que si l’article 5 du décret du 4 mai 2012 pouvait encadrer la mention du nom d’une unité géographique portée sur l’étiquetage d’un produit vinicole, il ne pouvait avoir ni pour objet ni pour effet d’interdire l’usage d’une marque enregistrée en application de l’article L. 712-1 du même code dès lors que cet enregistrement n’a pas été déclaré nul et en a déduit que l’avertissement en litige ne pouvait légalement interdire l’usage des marques » Cuvée du golfe de Saint-Tropez » et » Le grimaudin » qui ont été enregistrées auprès de l’Institut national de la propriété industrielle et n’ont pas été déclarées nulles. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6, 8 et 9 qu’en se déterminant ainsi, alors que les dispositions des articles L. 713-1 et L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle ne font pas obstacle à l’application de l’article 5 du décret du 4 mai 2012 aux noms d’unités géographiques plus petites que l’aire des AOP et IGP de référence enregistrés en tant que marques, pourvu que cette réglementation soit conforme aux principes qui régissent la protection du droit de propriété, la cour a commis une erreur de droit.
Le Conseil d’État va ensuite examiner le décret du 12 mai 2012 pris en application des règlements communautaires, et vérifier qu’il ne porte pas une restriction disproportionnée au droit de propriété des titulaires de marque au regard des buts poursuivis (Les développements peuvent être consultés au texte de l’arrêt du 21 juillet 2021 accessible sur le site du Conseil d’État).
La demande de la société de vignerons en annulation de la décision du 8 août 2013 est rejetée.