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Le blog de Jean – Paul Martin
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Explication de texte de la faiblesse de l’incitation à l’innovation (II) (avril 2010)
Comment l’industrie récompense l’innovation (I) (mars 2010)
La meilleure incitation à l’innovation du salarié serait-elle la reconnaissance éternelle de son employeur ?
( A propos de la proposition de loi du 4 juin 2010 du Sénateur Yung )? Article publié sur le site Le Village de la Justice
Ce n’est pas une simple réforme que souhaite le sénateur Yung en déposant sa proposition de loi au Sénat le 4 juin 2010, mais bien à modifier en totalité le régime actuel des inventions des salariés par la fusion du régime des inventions de mission et celui des inventions en mission attribuables en une seule et nouvelle catégorie dénommée inventions de service.
Toutes les inventions selon cette proposition de loi, appartiendraient à l’employeur alors qu’aujourd’hui celles soumises au régime des inventions dites de missions attribuables appartiennent d’abord à l’inventeur salarié.
On rappellera également que le droit français mais plus encore le droit européen des brevets reconnaissent le droit à l’invention à l’inventeur et que c’était donc à titre dérogatoire à ce principe que la loi française aujourd’hui codifiée au Code de la propriété intellectuelle, avait organisé des mécanismes de transfert de ce droit au bénéfice de l’employeur.
Notons aussi qu’à la différence du système actuel, seules les inventions ayant donné lieu à un brevet seraient éligibles à ce nouveau dispositif
La rémunération du salarié présenterait deux aspects :
– une rémunération forfaitaire,
– un bilan d’exploitation.
La rémunération forfaitaire reposerait sur des critères tels que « l’intérêt économique de l’invention, les fonctions du salarié dans l’entreprise, le rôle de l’entreprise dans le processus d’invention ».
Sa date de versement interviendrait dans un délai maximum d’un an à compter de la réception de la déclaration de l’inventeur.
Ainsi la détermination du montant à verser forfaitairement interviendrait le plus souvent, avant que l’extension internationale de la demande de brevet ait eu lieu et quand l’exploitation n’a pas encore débuté. Dans certains secteurs économiques, le début de l’exploitation de l’invention intervient, il faut le rappeler, plus de 10 ans après le dépôt de la demande de brevet de base.
On voit ainsi que la détermination de cette rémunération forfaitaire interviendrait quand l »intérêt économique de l’invention n’aurait pu être mesuré matériellement …qu’au plus bas.
Parmi les critères retenus pour fixer le montant de cette rémunération forfaitaire, cette proposition de loi quand elle s’intéresse au processus de l’invention, ne retient que le rôle de l’entreprise, ce qui est pour le moins surprenant, s’agissant d’un texte voulant inciter l’innovation des salariés.
De manière plus étonnante encore, cette proposition ne s’intéresse guère à l’activité inventive du salarié, sa situation n’étant appréciée qu’au travers de ses fonctions, comme si la capacité inventive ne pouvait qu’augmenter avec l’avancement dans l’organigramme de l’entreprise.
Le rôle de l’inventeur est d’ailleurs singulièrement minoré dans les motifs avancés à l’appui de cette proposition puisque ceux-ci affirment que « l’invention est rarement le fait d’un seul individu ».
En ce qui concerne le bilan de l’exploitation, la proposition de loi est assez floue puisqu’elle retient les éléments directs et indirects d’exploitation.
La possibilité d’une nouvelle rémunération n’étant envisagée que dans le cas où l’invention à procurer des avantages substantiels à l’entreprise, et la date d’établissement de ce bilan pouvant intervenir après – une éternité – 20 ans après l’invention, les chances que le salarié s’en rappelle et soit à même d’en discuter les termes, ne laisseraient finalement aux salariés qu’une reconnaissance de principe.
Une reconnaissance et rien d’autre ! N’est-ce pas là l’objet de cette proposition de loi qui exprime très clairement son hostilité au mécanisme mis en place pour les organismes de recherche publique et au dispositif mis en place en Allemagne ? Si cette proposition était votée, elle mettrait un terme à plus de 15 d’évolutions législatives et de débats judiciaires qui ont pu pas à pas reconnaître une contrepartie financière encore trop modeste aux inventeurs salariés.
Philippe Schmitt (juin 2010)
I Comment l’industrie récompense l’innovation :
La dernière étude publiée par l’INPI en 2008, sur la rémunération des inventeurs salariés montre indiscutablement que l’incitation à l’innovation est au point mort. Le contraste n’en est que plus saisissant à la lecture des classements des réussites boursières.
Un classement des capitalisations boursières, et des gains supposés et quelques fois réalisés par les actionnaires, au delà de la surprise, de l’émerveillement et peut-être quelquefois de l’agacement chez certains, qu’il peut provoquer, constitue si ce n’est déjà un indice de reconnaissance sociale, une réussite économique, même si elle doit être consolidée chaque jour, et sans doute, pour beaucoup, une motivation.
Cette semaine, la désindustrialisation de la France a été amplement soulignée et de nombreux commentaires ont assuré que l’avenir appartenait aux entreprises créatrices d’innovation.
Quelle motivation les entreprises mettent –elles en place pour favoriser l’innovation chez leurs salariés ?
Si l’incitation à l’innovation devait être mesurée aux sommes accordées par les entreprises à leurs salariés quand ceux-ci inventent, l’étude publiée par l’Institut National de la Propriété Industrielle en 2008 sur la rémunération des inventeurs de salariés, montrerait un fossé considérable entre les intentions affichées et la réalité.
Certes, cette étude remonte à deux ans mais il y a peu d’études publiées sur le sujet et rien n’indique que la situation ait changée depuis. Le constat de cette étude est tout simplement accablant.
Rappelons que la loi depuis 1990 a rendu obligatoire le versement par l’entreprise d’une rémunération spécifique aux salariés inventeurs et même dans certaines circonstances, d’un juste prix.
L’État de son côté a montré l’exemple. Les inventeurs du secteur public se voient attribuer une prime d’intéressement aux produits tirés de leur invention : 50 % en deçà d’un palier qui en 2008 était de 63 000 €, et 25 % au-delà et ce, chaque année.
La situation dans le privé telle qu’elle apparaît à l’étude de l’INPI méconnait totalement l’objectif de la loi.
Sur les 288 entreprises interrogées par l’INPI, seules trois prévoient une rémunération en fonction de l’exploitation de l’invention et parmi ces trois entreprises, le maximum qu’une seule d’entre elles accorde, est de 12 500 €.
L’étude n’écarte d’ailleurs pas que cette somme de 12 500 € puisse correspondre en réalité, au total maximum que peut percevoir l’inventeur dans cette entreprise, différentes primes pouvant être accordées selon le devenir de l’invention.
Autre constatation de cette étude, les entreprises citées, c’est-à-dire des entreprises qui se considèrent comme exemplaires dans leur application de la loi quand elles accordent des primes, celles-ci sont comprises entre 500 et 600 € par invention.
Cette situation ne peut que décourager ceux qui se destinent à la recherche et à l’innovation dans le privé.
À ceux qui considéreraient que verser davantage aux inventeurs risquerait d’aggraver les comptes de l’entreprise, il est vivement conseillé de se reporter au bilan de celles-ci et de s’interroger sur l’avenir de l’innovation industrielle en France.
Heureusement les juges français reconnaissent, aujourd’hui, la valeur des inventions et appliquent les dispositions légales. Par exemple en 2009, le Tribunal de Grande Instance de Paris a accordé plus de 430 000 € à un inventeur dont l’employeur ne lui avait accordé que 240 €.
Philippe Schmitt (mars 2010)
II Inventions de salariés : explication de texte de la faiblesse de l’incitation à l’innovation.
Comment expliquer les différences de rémunération des inventeurs salariés entre celles fixées par les employeurs et les montants alloués par les tribunaux. Tentative d’explication de texte à partir de celui de la convention collective de la métallurgie. (Suite de la tribune du 12 mars : « Comment l’industrie récompense-t-elle les inventeurs ?)
Bien que l’innovation soit devenue depuis quelques années le maître mot dans la plupart des entreprises ou comme l’enseigne les économistes, ce qui prépare l’avenir c’est la reconnaissance des talents, bien peu d’entreprises ont organisé, en interne, des règles propres pour fixer les rémunérations de leurs salariés pour leur invention.
À défaut d’accord d’entreprise, ce sont les dispositions de la convention collective, qui fixent les règles applicables aux relations au sein de l’entreprise. Hélas, en ce qui concerne la rémunération de l’inventeur salarié, le constat est affligeant.
Prenons la Convention Collective Nationale des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie. En son article 26, cette convention collective limite l’existence d’une telle rémunération aux seules inventions présentant un intérêt exceptionnel.
En effet, cet article pose, tout d’abord, le principe général que cette rémunération pour les inventions de mission est incluse dans le salaire : « La rétribution de l’ingénieur au cadre tient compte de cette mission, de ces études ou recherches et rémunère forfaitairement les résultats de son travail » pour ne reconnaître qu’ensuite un versement supplémentaire, mais dans un cas très particulier « Toutefois, si une invention dont le -salarié serait l’auteur dans le cadre de cette tâche, présentait pour l’entreprise un intérêt exceptionnel dont l’importance serait sans commune mesure avec le salaire de l’inventeur, celui-ci se verrait attribuer, après la délivrance du brevet, une rémunération supplémentaire pouvant prendre la forme d’une prime globale versée en une ou plusieurs fois ».
L’exceptionnel étant plutôt rare, comment s’étonner que l’innovation soit si peu encouragée dans la réalité ?
Selon ce texte, la plupart des salariés qui ont une mission inventive, verraient leur rémunération pour leurs inventions incluse dans leurs salaires. Pour quelques autres, comment apprécier l’intérêt exceptionnel que présenterait l’invention pour l’entreprise : s’agirait-il de d’évaluer comment l’invention peut être exploitée au sein de la production de l’entreprise au jour de l’invention ou de mesurer la réussite de cette exploitation par l’entreprise après un certain délai ? Ou faudrait-il encore pour quantifier « l’intérêt pour l’entreprise » de cette invention et vérifier si celui-ci est exceptionnel, tenir compte d’éventuels accords de licence que l’entreprise a pu accorder à d’autres entreprises sur cette invention, quand l’entreprise ne veut pas se lancer dans la production de cette invention ?
Qui sait combien de salariés inventeurs se sont vu opposer les dispositions de cette convention collective pour écarter, à tort, leur droit à rémunération ?
En effet, une telle condition, le caractère exceptionnel de l’invention, n’est pas prévue par la loi qui organise dans le cas de l’invention de mission le principe du transfert de sa propriété à l’employeur, l’article L611-7 ne distinguant pas entre les inventions selon leur intérêt pour qu’une rémunération bénéficie aux salariés.
En 2005, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel de Lyon qui avait jugé que l’article 26 de la convention collective était contraire à la loi désormais applicable, laquelle est d’ordre public, et devait être réputé non écrit. Depuis les juridictions parisiennes ont écarté également l’application de cet article 26.
On sait également que certaines entreprises ont entendu fixer la rémunération de leurs salariés inventeurs en fonction uniquement du salaire. Ci-dessus, l’extrait cité de l’article 26 de la Convention Collective Nationale des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie retient que cette rémunération est incluse dans le salaire, ce qui est encore plus restrictif.
Or la Cour de Cassation par un arrêt de 2000 a déjà dit que la rémunération supplémentaire due au salarié ne pouvait pas être fixée en fonction de son salaire.
Pourrions-nous conclure que plus de 15 ans de rémunération pour les salariés inventeurs ont été perdus, cela serait sans doute trop rapide.
En effet ; toutes les actions des inventeurs salariés ne sont pas prescrites.
Le plus souvent d’ailleurs, le salarié n’apprend le développement de son invention, qu’après son départ de l’entreprise, s’il n’a pas d’ailleurs été licencié parce que justement il demandait à se voir reconnaître la qualité d’inventeur, moment où il découvre que son invention est devenue une source importante de profits, indiscutablement une source de valeur pour son entreprise, pour les actionnaires et pour les managers.
Philippe Schmitt (avril 2010)
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juin 2010
PROPOSITION DE LOI
tendant à réformer le droit des inventions des salariés,
PRÉSENTÉE
Par MM. Richard YUNG, Daniel RAOUL, Mmes Jacqueline ALQUIER, Michèle ANDRÉ, MM. Alain ANZIANI, David ASSOULINE, Bertrand AUBAN, Jacques BERTHOU, Jean BESSON, Mme Maryvonne BLONDIN, M. Yannick BODIN, Mmes Nicole BONNEFOY, Alima BOUMEDIENE-THIERY, Bernadette BOURZAI, Nicole BRICQ, Claire-Lise CAMPION, MM. Yves DAUDIGNY, Marc DAUNIS, Jean-Pierre DEMERLIAT, Alain FAUCONNIER, Jean-Luc FICHET, Bernard FRIMAT, Jacques GILLOT, Jean-Pierre GODEFROY, Jean-Noël GUÉRINI, Didier GUILLAUME, Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, MM. Ronan KERDRAON, Yves KRATTINGER, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, Mmes Françoise LAURENT-PERRIGOT, Claudine LEPAGE, MM. Claude LISE, François MARC, Gérard MIQUEL, Robert NAVARRO, Mme Renée NICOUX, MM. Jean-Marc PASTOR, Bernard PIRAS, Paul RAOULT, Roland RIES, Mme Patricia SCHILLINGER, MM. Michel SERGENT, Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Mme Catherine TASCA, MM. Jean-Marc TODESCHINI, Richard TUHEIAVA et les membres du groupe socialiste (1), apparentés (2) et rattachés (3),
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
(1) Ce groupe est composé de : Mmes Jacqueline Alquier, Michèle André, MM. Serge Andreoni, Bernard Angels, Alain Anziani, David Assouline, Bertrand Auban, Robert Badinter, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Jean Besson, Mme Maryvonne Blondin, M. Yannick Bodin, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Yannick Botrel, Didier Boulaud, Martial Bourquin, Mme Bernadette Bourzai, M. Michel Boutant, Mme Nicole Bricq, M. Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, M. Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, M. Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Yves Chastan, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Roland Courteau, Yves Daudigny, Yves Dauge, Marc Daunis, Jean-Pierre Demerliat, Mme Christiane Demontès, M. Claude Domeizel, Mme Josette Durrieu, MM. Alain Fauconnier, Jean-Luc Fichet, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Charles Gautier, Mme Samia Ghali, MM. Serge Godard, Jean-Pierre Godefroy, Jean-Noël Guérini, Didier Guillaume, Claude Haut, Edmond Hervé, Mmes Odette Herviaux, Annie Jarraud-Vergnolle, MM. Claude Jeannerot, Ronan Kerdraon, Mme Bariza Khiari, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Mme Françoise Laurent-Perrigot, M. Jacky Le Menn, Mmes Claudine Lepage, Raymonde Le Texier, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Roger Madec, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, François Marc, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Gérard Miquel, Jean-Jacques Mirassou, Robert Navarro, Mme Renée Nicoux, MM. Jean-Marc Pastor, François Patriat, Daniel Percheron, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Roland Povinelli, Mme Gisèle Printz, MM. Marcel Rainaud, Daniel Raoul, Paul Raoult, François Rebsamen, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Roland Ries, Mmes Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, MM. Michel Sergent, René-Pierre Signé, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca, MM. Michel Teston, René Teulade, Jean-Marc Todeschini, André Vantomme et Richard Yung.
(2) Apparentés : MM. Jean-Etienne Antoinette, Jacques Berthou, Jacques Gillot, Mme Virginie Klès, MM. Serge Larcher, Claude Lise, Georges Patient et Richard Tuheiava.
(3) Rattachés administrativement : Mmes Marie-Christine Blandin, Alima Boumediene-Thiery, MM. Jean Desessard, Jacques Muller et Mme Dominique Voynet
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En France, le droit des inventions des salariés est défini par l’article 611-7 du code de la propriété intellectuelle, qui résulte de la loi n° 78-742 du 13 juillet 1978 modifiant et complétant la loi n° 68-1 du 2 janvier 1968 tendant à valoriser l’activité inventive et à modifier le régime des brevets d’invention. Cet article ne s’applique qu’à défaut de dispositions contractuelles plus favorables.
Le code de la propriété intellectuelle distingue trois catégories d’inventions de salariés : les inventions de mission, les inventions hors mission attribuables et les inventions hors mission non attribuables.
Les inventions de mission correspondent aux « inventions faites par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées ». Elles appartiennent à l’employeur, qui, en contrepartie, est tenu de verser au salarié une rémunération supplémentaire.
Les inventions hors mission attribuables sont les inventions faites par le salarié « soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle ». Ces inventions appartiennent au salarié, mais l’employeur a le droit de les revendiquer, c’est-à-dire de « se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet » moyennant le paiement au salarié d’un « juste prix ». Il doit le faire dans le délai de quatre mois à compter de la date de réception de la déclaration de l’invention.
Quant aux inventions hors mission non attribuables, elles regroupent les inventions qui sont réalisées en dehors de toute mission inventive et qui sont dépourvues de tout lien avec l’entreprise. Ces inventions appartiennent au salarié.
Dans les trois cas susmentionnés, le salarié est tenu de déclarer « sans délai » son invention à son employeur en précisant l’objet de l’invention, les circonstances dans lesquelles l’invention a été réalisée et la catégorie dans laquelle il estime qu’elle se range.
En France, toutes les inventions liées à l’activité professionnelle du salarié sont donc susceptibles de donner lieu à une compensation financière, même lorsque leur auteur est explicitement investi par son employeur d’une mission inventive.
Il en va de même pour les chercheurs des universités et des organismes de recherche publique, qui bénéficient d’un régime d’intéressement particulièrement avantageux. Ils se voient en effet attribuer une rémunération correspondant à 50 % des produits nets d’exploitation des inventions jusqu’à un seuil déterminé, puis 25 % au-delà1(*). L’objet de la présente proposition de loi n’est pas de modifier ce dispositif.
En dehors de ce cas particulier, l’obligation de verser une rétribution financière spécifique aux inventeurs salariés a été fixée par la loi n° 90-1052 du 26 novembre 1990 relative à la propriété industrielle et modifiant la loi de 1978. Cependant, elle a renvoyé aux conventions collectives, aux accords d’entreprises et aux contrats individuels de travail le soin de déterminer le mode de calcul de la rémunération supplémentaire des inventions de mission. Or, d’après une enquête effectuée en 2008 par l’Observatoire de la propriété intellectuelle (OPI)2(*), « les dispositions prévues dans les conventions collectives sont, quand elles existent, floues et incomplètes, voire irrégulières ». Quant aux accords d’entreprise, ils sont quasiment inexistants. Il en est de même pour les contrats individuels de travail. Seules quelques sociétés ont mis en place un système de rémunération incitatif qui stimule l’esprit d’innovation et leur permet de mieux contrer la concurrence.
L’enquête menée par l’OPI a également mis en lumière le fait qu’un tiers au moins des entreprises françaises ne donnent pas du tout de prime à leurs inventeurs salariés. En outre, les entreprises qui gratifient leurs inventeurs ne sont en moyenne pas très généreuses, les primes – généralement forfaitaires – variant en moyenne entre 500 et 12 500 euros. Le montant des rémunérations varie également fortement d’une entreprise à l’autre.
Dans ce contexte défavorable à l’innovation, certains inventeurs salariés du secteur privé sont contraints de saisir – parfois au prix de leur licenciement – la Commission nationale des inventions des salariés (CNIS) ou le tribunal de grande instance (TGI) afin de faire appliquer leur droit à une rémunération supplémentaire ou à un juste prix.
La CNIS est une instance paritaire qui réunit un représentant des salariés ainsi qu’un délégué des employeurs. Elle est présidée par un magistrat de l’ordre judiciaire, dont la voix est prépondérante en cas de partage.
Au 31 décembre 2008, la CNIS avait été saisie à 386 reprises depuis sa création. De l’avis de la plupart des spécialistes du droit des inventions des salariés, la possibilité pour les parties de saisir la CNIS en cas de litige est satisfaisante.
En 2008, le montant moyen de la rémunération supplémentaire allouée par la CNIS s’élevait à 6 250€ par invention. Les plus fortes rémunérations supplémentaires allouées par les tribunaux et la CNIS ont été de 609 796 € (1997), 300 000 € (2005) et 100 000 € (2004 et 2005).
La rémunération supplémentaire la plus élevée (609 796 €) a été versée par le groupe pharmaceutique Hoechst-Roussel, condamné en 1997 par la 4è chambre de la cour d’appel de Paris à gratifier l’inventeur d’une molécule pour le traitement du cancer de la prostate3(*). Pour fixer le montant de cette rémunération supplémentaire, le juge a pris en considération le succès commercial de l’invention, celle-ci ayant généré un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros. Suite à cette affaire, le nombre de litiges a d’abord augmenté avant de se stabiliser autour d’une vingtaine par an.
Nombreux sont ceux qui estiment que le régime juridique des inventions des salariés n’est pas satisfaisant car peu incitatif, notamment à cause de l’absence de règles précises portant sur la rémunération.
Partant du constat que les « inventions sont les vitamines de la société », la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, Mme Christine LAGARDE, avait commandé, fin 2007, un rapport au Conseil supérieur de la propriété intellectuelle (CSPI). L’avis du CSPI, qui n’a pas été rendu public, était censé servir de base pour la rédaction d’un projet de loi. Il n’en a rien été.
Le 7 avril 2009, lors d’une table ronde sur la recherche et l’innovation, le Président de la République avait exprimé son souhait de « progresser vers une meilleure reconnaissance des inventeurs-salariés et leur juste association aux bénéfices économiques issus de leurs découvertes ». Le chef de l’État prenait en modèle le système allemand, qui récompense l’ingéniosité des inventeurs salariés. D’après lui, « le système de rémunération est beaucoup trop rigide et ne tient absolument pas compte de l’inventivité, de la récompense que l’on doit dans une société du mérite et de la récompense ».
Quelques semaines plus tard, le 22 juin 2009, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le Président de la République avait affirmé qu’une « place plus grande » devrait être faite aux inventeurs.
En dépit de ces bonnes intentions, le gouvernement n’a pris aucune initiative concrète afin de mieux récompenser les inventeurs salariés, ce qui augure mal de la mise en oeuvre de la future stratégie « Europe 2020 », qui vise à mettre en oeuvre une « croissance intelligente » en encourageant notamment les entreprises à innover.
Le statu quo n’est pas satisfaisant. Il est urgent d’agir car le caractère faiblement incitatif du dispositif en vigueur est l’une des causes de la faible propension des entreprises françaises à déposer des brevets pour protéger leurs innovations. D’après le tableau de bord européen de l’innovation (TBEI) de 2009, la France fait partie des pays suiveurs de l’innovation, contrairement à l’Allemagne, qui est l’un des champions européens de l’innovation.
Il n’est pas question d’aligner le régime applicable aux inventeurs salariés sur celui dont bénéficient les chercheurs des universités et des organismes de recherche publique. Un tel mécanisme risquerait en effet de nuire aux petites et moyennes entreprises (PME).
Il ne s’agit pas non plus de transposer dans notre droit le dispositif – très complexe – qui est appliqué en Allemagne. Outre-Rhin, le droit des inventions des salariés est régi par la loi du 25 juillet 19574(*), dont l’article 9 dispose que le montant de la compensation financière qui est versée au salarié est évalué en tenant compte « des possibilités d’exploitation économique de l’invention de service, des tâches et de la situation du salarié dans l’entreprise, ainsi que de la part de celle-ci dans la réalisation de l’invention de service ». La prise en considération de ce faisceau de critères s’avère très utile. En revanche, le mode de calcul du montant de la compensation financière est d’une extrême complexité car il consiste en la multiplication de la valeur de l’invention par un facteur dit de participation, c’est-à-dire un coefficient qui chiffre la contribution personnelle de l’inventeur et tient compte du fait que l’invention est rarement le fait d’un seul individu.
La présente proposition de loi vise plutôt à améliorer la reconnaissance des inventeurs salariés en créant un dispositif simple et lisible pour les entreprises et les salariés. Pour ce faire, elle procède à une réécriture quasi complète de l’article 611-7 du code de propriété intellectuelle.
L’article premier vise à :
– regrouper les inventions de mission et les inventions hors mission attribuables en une seule catégorie dénommée « inventions de service » ;
– créer un système de rémunération supplémentaire à deux niveaux pour les inventions de service brevetables : une prime forfaitaire versée à tous les inventeurs un an au plus tard après la réception par l’employeur de la déclaration de l’invention et une rémunération supplémentaire « additionnelle » versée en cas d’exploitation de l’invention un an au plus tard après la réception par l’inventeur d’un bilan d’exploitation ;
– encadrer le mode de rémunération lorsque plusieurs salariés sont auteurs d’une même invention de service ;
– mettre à la disposition des employeurs et des salariés des experts de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) chargés de les informer et de les conseiller ;
– maintenir la possibilité pour les parties de saisir la Commission nationale des inventions des salariés (CNIS) en cas de litige.
L’article 2 tend à obliger les entreprises à adapter en conséquence leurs accords ou, à défaut, les contrats individuels de travail.
Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est proposé d’adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’article 611-7 du code de la propriété intellectuelle est ainsi rédigé :
« Si l’inventeur est salarié, le droit au titre de propriété industrielle, à défaut de dispositions plus favorables au salarié, est défini selon les dispositions ci-après :
« 1. Les inventions de salarié peuvent être des inventions de service ou des inventions hors service.
« Les inventions de service sont celles qui sont faites par le salarié :
« – soit dans l’exécution d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives ;
« – soit dans l’exécution d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées ;
« – soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions ;
« – soit dans le domaine des activités de l’entreprise ;
« – soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle.
« Les inventions de service appartiennent à l’employeur.
« Toutes les autres inventions sont des inventions hors service et appartiennent au salarié.
« 2. Les inventions de service brevetables donnent obligatoirement lieu au versement d’une juste rémunération supplémentaire.
« Son montant est évalué en tenant compte de l’intérêt économique de l’invention, des fonctions du salarié dans l’entreprise et du rôle de cette dernière dans le processus d’invention. Ses modalités de calcul sont déterminées et négociées dans le cadre d’un accord d’entreprise ou, à défaut, du contrat individuel de travail.
« Elle a un caractère forfaitaire et est versée dans un délai maximum de un an à compter de la date de réception de la déclaration de l’invention, y compris lorsque l’inventeur a quitté l’entreprise. Elle peut être versée en plusieurs fois.
« Dans un délai compris entre cinq et vingt ans à compter de la date de réception de la déclaration de l’invention, un bilan d’exploitation de l’invention est établi par l’employeur et communiqué à l’inventeur, y compris lorsque ce dernier a quitté l’entreprise. Ce bilan prend en considération les éléments directs et indirects d’exploitation. Si les éléments de ce bilan font apparaître que l’invention a procuré des avantages substantiels à l’entreprise, une nouvelle rémunération supplémentaire est versée à l’inventeur dans un délai maximum de un an à compter de la date de réception du bilan d’exploitation.
« 3. Lorsque plusieurs salariés sont auteurs d’une même invention de service, la rémunération supplémentaire est déterminée en fonction de la contribution respective de chacun d’eux à l’invention. À défaut, elle est répartie à parts égales entre les salariés.
« 4. L’Institut national de la propriété industrielle et ses délégations régionales mettent à la disposition des employeurs et des salariés qui en font la demande des experts chargés de les informer de leurs droits et de les conseiller sur les modalités de fixation de la rémunération supplémentaire.
« 5. Tout litige relatif à la rémunération supplémentaire est soumis à la commission de conciliation instituée par l’article L. 615-21 ou au tribunal de grande instance.
« 6. Le salarié auteur d’une invention en informe par écrit son employeur qui en accuse réception selon les modalités et des délais fixés par voie réglementaire.
« Le salarié et l’employeur doivent se communiquer tous renseignements utiles sur l’invention en cause. Ils s’abstiennent de toute divulgation de nature à compromettre en tout ou en partie l’exercice des droits conférés par le présent livre.
« Tout accord entre le salarié et son employeur ayant pour objet une invention de salarié doit être constaté par écrit.
« 7. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en conseil d’État.
« 8. Les dispositions du présent article sont également applicables, sauf exceptions, aux agents de l’État, des collectivités publiques et de toutes autres personnes morales de droit public, selon des modalités qui sont fixées par décret en Conseil d’État. »
Article 2
Les entreprises disposent d’un délai de deux ans à compter de la publication de la présente loi pour mettre en conformité, à peine de nullité, les accords d’entreprise ou, à défaut, les contrats individuels de travail avec les dispositions de l’article 611-7 du code de la propriété intellectuelle.
* 1 Décret n° 2001-141 du 13 février 2001 modifiant le décret n° 96-858 du 2 octobre 1996 relatif à l’intéressement de certains fonctionnaires et agents de l’État et de ses établissements publics ayant participé directement à la création d’un logiciel, à la création ou à la découverte d’une obtention végétale ou à des travaux valorisés ; décret n° 2005-1217 relatif à la prime d’intéressement et à la prime au brevet d’invention attribuées à certains fonctionnaires et agents de l’État et de ses établissements publics auteurs d’une invention et modifiant le code de la propriété intellectuelle ; arrêté ministériel du 26 septembre 2005 fixant le montant de la prime au brevet d’invention attribuée à certains fonctionnaires et agents de l’État et de ses établissements publics auteurs d’une invention.
* 2 Sur les 280 entreprises sollicitées par l’OPI, 88 ont répondu, parmi lesquelles 60 ont mis en place un dispositif de rémunération des inventeurs, qui prend le plus souvent la forme soit d’un « système de primes forfaitaires lié à la vie de l’invention » soit d’une combinaison de telles primes avec une rémunération variant en fonction de l’exploitation de l’invention.
* 3 L’arrêt RAYNAUD c/ HOECHST ROUSSEL UCLAF a été confirmé le 21 novembre 2000 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
* 4 Modifiée par la loi du 24 juin 1994.