La réponse est donnée par la Grande Chambre de la Cour de Justice par son arrêt du 25 juillet 2018 à l’occasion du litige opposant la société Teva plus connue sous le nom commercial « Mylan », à Gilead Science Inc. au sujet de la validité d’un certificat complémentaire de protection octroyé à cette dernière pour un produit pharmaceutique pour le traitement du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Même si l’arrêt laisse penser que le CCP sera annulé, la Cour de justice admet qu’un produit composé de plusieurs principes actifs ayant un effet combiné est protégé par un brevet de base en vigueur , dès lors que la combinaison des principes actifs qui le composent, même si elle n’est pas explicitement mentionnée dans les revendications du brevet de base, est nécessairement et spécifiquement visée dans ces revendications. L’arrêt du 25 juillet 2018 est là
L’affaire vient sur une question préjudicielle de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], saisi d’un recours tendant à contester la validité du CCP.
Les faits tels que présentés à l’arrêt
Gilead est le titulaire du brevet européen (UK) EP 0 915 894 qui est le brevet de base.
25 juillet 1997 : dépôt de la demande auprès de l’Office européen des brevets (OEB) .
14 mai 2003 : délivrance du brevet par l’OEB.
21 novembre 2005 : L’AMM est délivrée par l’Agence européenne des médicaments . Il s’agit du TRUVADA, un médicament antirétroviral indiqué pour le traitement des personnes atteintes du VIH. Ce médicament contient deux principes actifs, le ténofovir disoproxil (ci-après le « TD ») et l’emtricitabine, qui ont un effet combiné pour ce traitement.
2008 : délivrance du CCP.
24 juillet 2017 : terme du brevet.
Ce que la Cour dit de ce brevet de base
15 Il ressort de la description de l’invention, contenue dans ledit brevet, que celui-ci couvre, de manière générale, un ensemble de molécules utiles pour le traitement thérapeutique de plusieurs infections virales chez l’homme ou l’animal, notamment le VIH.
16 Cette description divulgue une série de formules pharmaceutiques qui peuvent être envisagées pour les composés revendiqués, sans viser spécifiquement de composés en particulier ni une utilité particulière de ces composés. Parmi ces composés revendiqués, le TD fait expressément l’objet de la revendication 25 du brevet de base en cause.
17 Ladite description mentionne également le fait que ces composés peuvent, le cas échéant, être associés à d’« autres ingrédients thérapeutiques ». Les termes « autres ingrédients thérapeutiques » ne sont toutefois ni définis ni expliqués dans le brevet de base en cause.
18 À cet égard, la revendication 27 du brevet de base en cause énonce :
« Composition pharmaceutique comprenant un composé conforme à l’une des revendications 1 à 25, conjointement avec un véhicule admissible en pharmacie et, le cas échéant, d’autres ingrédients thérapeutiques ».
Et ce que dit la Cour de ce CCP
19 …… Gilead a obtenu un CCP sur le fondement de la revendication 27 du brevet de base en cause et de l’AMM (ci-après le « CCP en cause »). Ce CCP porte sur une « composition contenant du [TD], le cas échéant sous la forme d’un sel, hydrate, tautomère ou solvate qui soit admis par la pharmacologie, et de l’emtricitabine ».
La portée de l’article 3 du règlement
La Cour de justice est saisie de la portée de l’article 3 du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments , intitulé « Conditions d’obtention du [CCP] », qui prévoit :
« Le [CCP] est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande visée à l’article 7 et à la date de cette demande :
- le produit est protégé par un brevet de base en vigueur ;
La position des parties
22 À l’appui de leur recours, les requérantes au principal font valoir que ce CCP ne satisfait pas à la condition fixée à l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009. Elles rappellent que, pour répondre à l’exigence prévue à cette disposition, le produit en question doit, conformément à l’arrêt du 24 novembre 2011, Medeva (C‑322/10, EU:C:2011:773), « figurer dans le libellé des revendications ». Dans l’hypothèse où le produit serait visé par une définition fonctionnelle dans la revendication pertinente, celle-ci devrait viser implicitement, mais nécessairement le produit en cause, et ce de manière spécifique, conformément aux termes employés par la Cour dans l’arrêt du 12 décembre 2013, Eli Lilly and Company (C‑493/12, EU:C:2013:835). Or, les requérantes au principal estiment que l’emtricitabine ne figure pas dans le libellé de la revendication 27 du brevet de base en cause et que l’expression « autres ingrédients thérapeutiques » qui y est utilisée ne définit aucun agent actif ni structurellement ni fonctionnellement. La combinaison TD/emtricitabine ne saurait donc être considérée comme étant protégée par un brevet de base en vigueur, au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009.
23 En revanche, Gilead soutient, en substance, que, aux fins de vérifier si la condition prévue à l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009 est remplie, il est nécessaire et suffisant que le produit en question relève du champ de protection d’au moins l’une des revendications du brevet de base. Or, l’expression « autres ingrédients thérapeutiques », employée dans la revendication 27 du brevet de base en cause, renverrait implicitement, mais nécessairement à l’emtricitabine, conformément à l’arrêt du 12 décembre 2013, Eli Lilly and Company (C‑493/12, EU:C:2013:835). La combinaison TD/emtricitabine remplirait donc la condition prévue à cet article.
L’arrêt du 25 juillet rappelle les décisions antérieures intervenues en matière de CCP et de l’article 3 du règlement
37 Dès lors, un produit ne peut être considéré comme étant protégé par le brevet de base en vigueur, au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, que lorsque le produit faisant l’objet du CCP est soit explicitement mentionné, soit nécessairement et spécifiquement visé dans les revendications de ce brevet.
38 À cette fin, conformément à la jurisprudence rappelée au point 36 du présent arrêt, il y a lieu d’avoir égard à la description et aux dessins du brevet de base, ainsi que le prescrit l’article 69 de la CBE, lu à la lumière du protocole interprétatif de celui-ci, dès lors que ces éléments permettent de déterminer si le produit faisant l’objet du CCP est visé dans les revendications du brevet de base et relève effectivement de l’invention couverte par ce brevet.
39 Cette exigence est conforme à l’objectif du CCP, consistant à rétablir une durée de protection effective suffisante du brevet de base en permettant à son titulaire de bénéficier d’une période d’exclusivité supplémentaire à l’expiration de ce brevet, destinée à compenser, au moins partiellement, le retard pris dans l’exploitation commerciale de son invention en raison du laps de temps qui s’est écoulé entre la date du dépôt de la demande de brevet et celle de l’obtention de la première AMM dans l’Union. Le considérant 4 du règlement n° 469/2009 précise à cet égard que l’octroi de cette période d’exclusivité supplémentaire a vocation à encourager la recherche et, pour ce faire, vise à permettre un amortissement des investissements effectués dans cette recherche (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Eli Lilly and Company, C‑493/12, EU:C:2013:835, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée).
40 Le CCP n’a, en revanche, pas pour vocation d’étendre le champ de la protection conférée par ce brevet au-delà de l’invention couverte par ledit brevet. Il serait, en effet, contraire à l’objectif du règlement no 469/2009, rappelé au point précédent, d’octroyer un CCP pour un produit qui ne relève pas de l’invention couverte par le brevet de base, dans la mesure où un tel CCP ne porterait pas sur les résultats de la recherche revendiqués par ce brevet.
41 En outre, eu égard à la nécessité, rappelée au considérant 10 du règlement no 469/2009, de prendre en compte tous les intérêts en jeu, y compris ceux relatifs à la santé publique, admettre qu’un CCP puisse conférer une protection au titulaire du brevet de base au-delà de celle assurée par ce brevet au titre de l’invention qu’il couvre serait contraire à la mise en balance devant être faite, s’agissant de l’encouragement de la recherche dans l’Union au moyen d’un CCP, entre les intérêts de l’industrie pharmaceutique et ceux de la santé publique (voir, par analogie, arrêt du 12 mars 2015, Actavis Group PTC et Actavis UK, C‑577/13, EU:C:2015:165, point 36 et jurisprudence citée).
42 Il convient d’ajouter que, compte tenu des intérêts visés aux considérants 4, 5, 9 et 10 du règlement n° 469/2009, il ne saurait être admis que le titulaire d’un brevet de base en vigueur puisse obtenir un CCP à chaque fois qu’il met sur le marché d’un État membre un médicament contenant, d’une part, un principe actif, protégé en tant que tel par son brevet de base, constituant l’objet de l’invention couverte par ce brevet et, d’autre part, une autre substance, laquelle ne constitue pas l’objet de l’invention couverte par le brevet de base (voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2015, Actavis Group PTC et Actavis UK, C‑577/13, EU:C:2015:165, point 37 et jurisprudence citée).
43 Il en résulte que, au regard des objectifs poursuivis par le règlement no 469/2009, les revendications ne sauraient permettre au titulaire du brevet de base de bénéficier, par l’obtention d’un CCP, d’une protection allant au-delà de celle conférée pour l’invention couverte par ce brevet. Ainsi, aux fins de l’application de l’article 3, sous a), de ce règlement, les revendications du brevet de base doivent être comprises à l’aune des limites de cette invention, telle qu’elle ressort de la description et des dessins de ce brevet.
44 Cette interprétation est confortée par l’article 4 du règlement no 469/2009, qui précise que la protection conférée par le CCP s’étend au seul produit couvert par l’AMM du médicament correspondant, pour toute utilisation du produit, en tant que médicament, qui a été autorisée avant l’expiration du CCP, mais uniquement « [d]ans les limites de la protection conférée par le brevet de base ».
45 Il en va de même de l’article 5 de ce règlement, en vertu duquel le CCP confère les mêmes droits que ceux conférés par le brevet de base et est soumis aux mêmes obligations. Ainsi, si le titulaire du brevet pouvait, pendant la période de validité de celui-ci, s’opposer, sur le fondement de son brevet, à toute utilisation ou à certaines utilisations de son produit sous la forme d’un médicament consistant en un tel produit ou contenant celui-ci, le CCP délivré à l’égard de ce même produit lui conférera les mêmes droits pour toute utilisation du produit, en tant que médicament, qui a été autorisée avant l’expiration du certificat (arrêts du 24 novembre 2011, Medeva, C‑322/10, EU:C:2011:773, point 39, ainsi que du 24 novembre 2011, Georgetown University e.a., C‑422/10, EU:C:2011:776, point 32).
46 Il découle de ce qui précède que l’objet de la protection conférée par un CCP doit se limiter aux caractéristiques techniques de l’invention couverte par le brevet de base, telles que revendiquées par ce brevet.
L’arrêt indique la démarche à suivre par la Juridiction britannique des brevets y compris dans l’analyse technique du brevet de base.
54 Ainsi, s’agissant du point de savoir si une revendication, telle la revendication 27 du brevet de base en cause, couvre effectivement une combinaison, telle que la combinaison TD/emtricitabine faisant l’objet du CCP en cause, il revient à la juridiction de renvoi de déterminer si l’expression générale « autres ingrédients thérapeutiques », associée à l’incise « le cas échéant », répond à l’exigence selon laquelle le produit doit être nécessairement et spécifiquement visé dans les revendications du brevet de base.
55 En particulier, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, conformément aux considérations figurant aux points 47 à 51 du présent arrêt, si, du point de vue de l’homme du métier, la combinaison des principes actifs composant le produit faisant l’objet du CCP en cause relève nécessairement de l’invention couverte par ce brevet et si chacun de ces principes actifs est identifiable de façon spécifique, sur la base de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité dudit brevet.
56 En l’occurrence, il ressort, d’une part, des indications contenues dans la décision de renvoi que la description du brevet de base en cause ne donne aucune indication quant à l’éventualité que l’invention couverte par ce brevet puisse concerner spécifiquement un effet combiné du TD et de l’emtricitabine en vue du traitement du VIH. Partant, l’homme du métier, sur la base de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité de ce même brevet, ne semble pas pouvoir être en mesure de comprendre en quoi l’emtricitabine relève nécessairement, en combinaison avec le TD, de l’invention couverte par ce brevet. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier que tel est bien le cas. D’autre part, il revient encore à cette dernière de déterminer si l’emtricitabine peut être spécifiquement identifiée par cet homme du métier à la lumière de l’ensemble des éléments contenus dans ledit brevet, sur la base de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du même brevet.
57 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens qu’un produit composé de plusieurs principes actifs ayant un effet combiné est « protégé par un brevet de base en vigueur », au sens de cette disposition, dès lors que la combinaison des principes actifs qui le composent, même si elle n’est pas explicitement mentionnée dans les revendications du brevet de base, est nécessairement et spécifiquement visée dans ces revendications. À cette fin, du point de vue de l’homme du métier et sur la base de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du brevet de base :
– la combinaison de ces principes actifs doit relever nécessairement, à la lumière de la description et des dessins de ce brevet, de l’invention couverte par celui-ci et
– chacun desdits principes actifs doit être spécifiquement identifiable, à la lumière de l’ensemble des éléments divulgués par ledit brevet.
La décision en droit
L’article 3, sous a), du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, doit être interprété en ce sens qu’un produit composé de plusieurs principes actifs ayant un effet combiné est « protégé par un brevet de base en vigueur », au sens de cette disposition, dès lors que la combinaison des principes actifs qui le composent, même si elle n’est pas explicitement mentionnée dans les revendications du brevet de base, est nécessairement et spécifiquement visée dans ces revendications. À cette fin, du point de vue de l’homme du métier et sur la base de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du brevet de base :
– la combinaison de ces principes actifs doit relever nécessairement, à la lumière de la description et des dessins de ce brevet, de l’invention couverte par celui-ci et
– chacun desdits principes actifs doit être spécifiquement identifiable, à la lumière de l’ensemble des éléments divulgués par ledit brevet.