Le contentieux de la contrefaçon de modèle débute, le plus souvent sur un débat de sa validité. Même si le Tribunal l’annule, la cour d’appel peut le valider comme le montre cet arrêt du 27 mars 2018 aux de nombreux documents antérieurs comme des brevets et des dépôts d’autres modèles étaient opposés.
Le rappel des dispositions légales
Considérant que l’article 4 § 1 du règlement communautaire n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires dispose que la protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel ;
Qu’en application de l’article 5 § 1 b) du même règlement, un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité ; que l’article 5 § 2 indique que des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ;
Qu’en application de l’article 6 § 1 b) du même règlement, un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité ; que l’article 6 § 2 indique en outre que pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle ;
Que par ailleurs, l’article 8 § 1 du même règlement dispose qu’un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique ;
L’appréciation de la nouveauté de ce modèle de verre dont les parois donnent l’impression de vide sur l’ombre apparaissant sur une vue de trois-quarts
Considérant que les sociétés appelantes, soulignant que le modèle P…. bénéficie d’une ‘présomption de validité ‘renforcée » compte tenu de décisions rendues tant par la division d’annulation de l’OHMI et la chambre de recours que par le tribunal de grande instance de Paris dans un jugement définitif en date du 17 décembre 2015, soutiennent que le tribunal a dénaturé le modèle quant à sa double paroi, a attribué, à tort, à l’espace entre les deux parois une fonction exclusivement technique de non transmission de la chaleur ou du froid, et n’a pas tenu compte de l’impression d’ensemble produite par le modèle ; qu’elles arguent que la double paroi du modèle est bien constituée de deux parois, qui ont chacune une face interne et une face externe, que l’espace entre ces deux parois est un espace vide (ou donnant l’impression du vide), ce qui ressort notamment de l’ombre apparaissant dans la vue de trois-quarts, que la double paroi constitue un élément essentiel de l’esthétique du produit,’conférant au verre une apparence de légèreté en donnant l’impression que la partie intérieure du verre destinée à accueillir le liquide est flottante, suspendue, comme une sorte de balancelle’ et que le modèle US D438,430, considéré par le tribunal comme privant de nouveauté le modèle P…. , ne divulgue pas un verre à double paroi, mais représente les deux faces, interne et externe, d’une même paroi, épaisse ; qu’elles ajoutent que les différences entre le modèle P…. et le dessin industriel US D438,430 sont nombreuses et non insignifiantes aux yeux d’un utilisateur averti ;
Que la société C…. fait valoir qu’avant le jugement déféré, l’absence de nouveauté et de caractère individuel du modèle opposé avait déjà été sanctionnée par la Cour fédérale du Canada dans une décision du 26 septembre 2012 concernant un dessin industriel enregistré par la société D………au Canada sous le n° 107736, identique à celui enregistré auprès de l’OHMI sous le n° 20….. , la cour canadienne ayant retenu l’existence de plusieurs antériorités destructrices de la nouveauté du modèle invoqué ; qu’elle ajoute que le modèle litigieux est aussi antériorisé, outre par le brevet US D438,430 déposé le 11 août 1999 retenu par le tribunal, par un modèle R….. 994634-001 déposé le 22 juillet 1999 en France et n° 28972 en République Tchèque, un modèle US Patent Office n° 122, 393 enregistré le 10 septembre 1940 et un modèle n° DM 050969 déposé le 23 février 2000 par la société A…… et que s’il existe quelques différences, celles-ci sont infimes, de sorte que le modèle P…. ne peut être considéré comme nouveau ;
Que la société M…………..présente la même argumentation, ajoutant i) que le tribunal a retenu, à juste raison, que rien ne permettait d’affirmer que l’espace entre les deux parois du verre P…. était vide, cet espace pouvant contenir un liquide ou un gel transparent, ii) que les dessins graphiques contenus dans les écritures des sociétés appelantes accentuent en les dénaturant les traits figurant au dépôt auquel il convient de se reporter, iii) que devant la juridiction canadienne, les sociétés appelantes avaient convenu que l’espace entre les doubles parois avait une fonction utilitaire non protégée, de sorte qu’elles sont mal venues à soutenir désormais que cette spécificité prétendue des verres P…. serait plus esthétique que fonctionnelle, iv) qu’en application de l’article 8 du règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001, les doubles parois du verre litigieux et l’espace entre ces parois ne peuvent pas être prises en compte pour comparer les modèles car il s’agit de caractéristiques imposées par la fonction technique du produit ;
Considérant que le tribunal a justement relevé que la nouveauté d’un dessin ou modèle s’apprécie par comparaison globale entre le modèle tel qu’il est déposé et le modèle antérieurement divulgué qui est opposé, tous deux pris dans leur ensemble constitué par la combinaison de leurs éléments caractéristiques, et non par l’examen de chacun des éléments qui les composent pris isolément, que seule l’identité entre le modèle et la création divulguée, qui découle de l’absence de différences ou de l’existence de différences insignifiantes révélées par cet examen global, est destructrice de nouveauté, la similitude des modèles ne l’excluant en revanche pas, et qu’il appartient à celui qui conteste la nouveauté du modèle de rapporter la preuve du contenu et de la date certaine de la divulgation de l’antériorité qu’il oppose ;
L’analyse par la Cour du dépôt et de la représentation du vide
Considérant que le dépôt comprend les quatre représentations graphiques reproduites supra (vues de trois quarts en plongée, de profil, de dessus et de dessous) et pour seule description : ‘ verre à boire’ ; que des quatre représentations graphiques, il ressort un verre de forme arrondie, nettement plus large en son sommet qu’en sa base, tous deux parfaitement circulaires ; que le bord extérieur (destiné à être en contact avec la main) et le bord intérieur (destiné à être en contact avec le liquide contenu dans le verre) du verre sont dessinés chacun par deux traits parallèles légèrement ombrés ; que la base du verre sur la paroi extérieure est plane alors que la base de la paroi intérieure est pointue et arrondie vers le bas, de forme nettement ovoïde ; qu’enfin, l’espace entre les parois extérieure et intérieure du verre, partant du buvant, va en s’épaississant jusqu’à la base et donne l’impression que la partie intérieure du verre est en suspension ;
Que la présence d’un double trait légèrement ombré pour figurer les bords extérieur et intérieur du verre accrédite la thèse des appelantes d’un verre à double paroi, celle-ci étant constituée de deux parois ayant chacune une face interne et une face externe ; qu’au contraire du tribunal qui a estimé que rien ne permet de déterminer la matière qui compose l’espace entre les deux parois du verre, ni si cet espace est vide ou plein, la cour observe que la représentation graphique du verre, notamment celle du verre vu de trois quarts en plongée, fait apparaître nettement une ombre à la fois dans le fond de la paroi extérieure et dans le fond de la paroi intérieure de forme ovoïde, la présence de cette ombre conduisant la cour à retenir que le fond de la paroi intérieure se reflète sur le fond de la paroi extérieure et, par conséquent, que l’espace entre les deux parois du verre est vide, cet espace étant, de plus, représenté en blanc (hormis l’ombre projetée) comme l’intérieur, vide, du verre, et non pas grisé comme l’épaisseur de chacune des parois ;
Ce vide serait-il utilitaire ?
Que si les deux parois et l’espace vide les séparant présentent un caractère technique évident, en ce qu’ils permettent la non transmission de la chaleur ou de la fraîcheur du liquide destiné à être contenu dans le verre, ils ne sont pas exclusivement imposés par cette fonction technique et présentent également un aspect esthétique essentiel en conférant au verre une légèreté remarquable, donnant l’impression que la partie intérieure du verre, destinée à accueillir le liquide, est flottante et en suspension, cette esthétique particulière ayant été, au surplus, récompensée par divers prix de design (…………..) comme en justifient les appelantes ;
L’analyse des antériorités opposées
Considérant que le brevet US D438,430 intitulé ‘drinking glass’, déposé le 11 août 1999 par la société R……, ne divulgue pas un verre à double paroi constituée de deux parois avec un espace vide entre elles, mais un verre présentant une seule paroi épaisse, représentée en hachures sur les figures 2 ou 6 du document ; qu’en outre, ces verres sont plus resserrés vers le haut que le modèle invoqué et ne présentent pas en partie basse la même forme ovoïde ;
Que les intimées invoquent en outre des antériorités retenues par la Cour fédérale du Canada dans la décision du 26 septembre 2012 précitée ; qu’il s’agit :
– d’un verre ‘pièce TX-97″ et d’un verre ‘pièce TX-106″ qui dateraient respectivement de 1897 et de 2000 mais dont les reproductions fournies, peu lisibles, ne permettent pas de vérifier qu’ils comportent une double paroi constituée de deux parois avec un espace vide entre elles, et qui sont en outre de forme différente, plus évasée et abaissée que celle du modèle invoqué,
– d’un verre ‘TX-105″ qui correspond manifestement à celui du brevet US D438,430,
– d’une salière à double paroi (‘double-walled salt dish’) ‘TX-168″ dont la forme, rétrécie puis évasée dans la partie inférieure, est très différente de celle du modèle invoqué ;
Que la société C…. invoque encore :
· un modèle R………. 994634-001 déposé le 22 juillet 1999 en France et n° 28972 en République Tchèque ; que le modèle tchèque constitue le dépôt de priorité du modèle US D438,430 et comporte des figures identiques à celles reproduites dans ce dernier et déjà présentées ; que les autres figures et photographiques qu’il contient confirment l’absence d’une double paroi et la présence d’une paroi unique ; que de même, le modèle français est, lui aussi, déposé sous priorité de ce modèle tchèque et la figure qu’il contient est issue de ce dépôt de priorité, de sorte qu’il n’est pas plus pertinent ;
· un modèle US Patent Office n° 122, 393, enregistré le 10 septembre 1940, qui ne présente pas une double paroi constituée de deux parois avec un espace vide entre elles, mais une seule paroi épaisse représentée en hachures, qui est plus haut et dont le bord supérieur est plus resserré que le modèle P…. ;
· un modèle n° DM 050969 déposé le 23 février 2000 par la société A… qui correspond manifestement à la ‘pièce TX-106″ visée dans la décision canadienne et qui doit être écartée pour les raisons exposées plus haut ;
Que les éléments d’art antérieur invoqués par les sociétés C…. et M…………..ne sont donc pas pertinents pour détruire la nouveauté du modèle P…. , n’étant pas identiques à ce modèle en raison de différences qui ne constituent pas des détails insignifiants ;
L’appréciation du caractère individuel du modèle
Considérant que les sociétés appelantes soutiennent que les modèles qui leur sont opposés produisent des impressions visuelles radicalement différentes sur l’utilisateur averti, faisant valoir que seul le modèle P…. se caractérise par une impression de légèreté, comme si le verre représenté par la paroi intérieure était en apesanteur à l’intérieur d’un verre plus large ;
Que les sociétés intimées répondent que, eu égard à la grande liberté du créateur en matière de verres à boire, qui rend les différences de détail de détail peu signifiantes, le verre divulgué par le brevet US D438,430 produit sur l’utilisateur averti une impression visuelle d’ensemble identique à celle du modèle litigieux qui se trouve ainsi privé de caractère individuel ;
Considérant qu’en l’espèce, l’utilisateur averti au sens de l’article l’article 6 du règlement n° 6/2002 précité peut être défini comme une personne qui achète des objets de cuisine ou de vaisselle design en général, et notamment des verres à boire, connaît les produits de ce type disponibles sur le marché ou s’informe sur ce type de produits et fait preuve d’un degré d’attention relativement élevé lorsqu’il les acquiert ou les utilise ;
Considérant que s’il est vrai que la liberté du créateur en matière de verres à boire n’est pas particulièrement restreinte, ces produits pouvant, comme le souligne à juste raison la société C…., tout en assurant la fonction technique de contenant préhensible par une main humaine permettant l’ingestion d’un contenu liquide, présenter des formes, des hauteurs, des proportions et des couleurs très variables, le modèle P…. , en raison de l’espace vide entre ses deux parois, évoque un verre en suspension à l’intérieur d’un autre verre, ce qui suscite une impression de légèreté ; que cette impression de légèreté n’est pas produite par le dessin du brevet US D438,430 qui concerne un verre à paroi unique et pleine allant en s’épaississant vers le bas, ce qui fait apparaître un verre plus lourd et plus tassé ; qu’aucun des autres éléments d’art antérieur invoqués par les sociétés C…. et M…………..et examinés ci-dessus ne produit la même impression de légèreté que celle dégagée par le modèle P…. ;
Que le modèle litigieux présente par conséquent un caractère individuel ;
Considérant qu’il s’infère de ce qui précède que le jugement doit être infirmé en ce qu’il a prononcé la nullité pour défaut de caractère nouveau de l’enregistrement du modèle communautaire de » verre à boire » dit P…. déposé le 23 juillet 2004 et enregistré sous le n° 20……………;