( Article publié dans Le Monde Economie du 20 mai 2015 Par Philippe Schmitt (Avocat) )
L’initiative capitalistique et le progrès technique sont la même et seule entité, expliquait Joseph Schumpeter. « Retrouver l’esprit industriel du capitalisme », pour reprendre le titre d’une tribune récente d’Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique (Le Monde du 24 avril 2015), nécessite également de reconnaître aux inventeurs la place qui est la leur.
Lire aussi : Emmanuel Macron : « Retrouver l’esprit industriel du capitalisme »
Un paradoxe français
Bien que l’innovation soit devenue une grande cause nationale, que d’importants avantages fiscaux ont été accordés aux entreprises en contrepartie de leurs frais de recherche et de développement, et qu’une nouvelle démocratie actionnariale est annoncée pour réindustrialiser notre pays, les inventeurs ne sont pas perçus comme facteurs d’innovation dans les entreprises.
Pourtant, une société, qui est une personne morale, n’invente pas : dans toute demande de brevet, l’inventeur est une personne physique. Tous les brevets français dont le déposant est une société ont pour objet une invention réalisée, sauf à de très rares exceptions, par un ou plusieurs inventeurs salariés.
Depuis 1990, différentes dispositions s’appliquent en faveur des inventeurs salariés
Même si cela peut paraître incroyable pour un pays qui revendique une longue histoire industrielle – au XIXe siècle, une entreprise industrielle était souvent fondée par l’inventeur lui-même –, il a fallu attendre la loi du 26 novembre 1990 pour rendre obligatoire la rémunération supplémentaire des inventeurs salariés, ou bien le paiement d’un juste prix par l’employeur selon les circonstances de réalisation de l’invention.
Et même si cette loi existe depuis vingt-cinq ans – toutes les inventions, notamment toutes celles dont les brevets sont actuellement en vigueur, y sont donc soumises –, des entreprises françaises continuent de licencier des inventeurs salariés quand ceux-ci demandent une rémunération pour leur invention, et vont même jusqu’à saisir la Cour de cassation. Pourtant, dans un arrêt du 17 septembre 2014, celle-ci a clairement établi que la demande par un salarié inventeur d’une rémunération ou du juste prix de son invention ne peut pas constituer un motif de licenciement.
Si la loi a fixé pour les fonctionnaires et les personnels assimilés les modalités de calcul de cette rémunération supplémentaire, il n’en va pas de même pour les entreprises du secteur privé. Néanmoins, les juges ont su fixer des critères objectifs pour déterminer cette rémunération. Il n’y a donc plus aujourd’hui d’obstacle à appliquer une rémunération adéquate et non symbolique aux inventeurs salariés, si ce n’est une conception d’un autre temps qui ne voyait comme contrepartie à l’invention que la seule « reconnaissance » de l’employeur !
Cet archaïsme français persiste malheureusement.
Certaines sociétés françaises refusent même à l’inventeur salarié une quelconque rémunération alors qu’elles appartiennent à un groupe étranger dont le pays d’origine, l’Allemagne par exemple, connaît et applique un mécanisme de rémunération des inventeurs salariés contribuant largement à la recherche d’innovations brevetables !
Et comment ne pas évoquer la Chine qui, dans son objectif « Design in China », destiné à dépasser le « Made in China » à l’objectif 2020, c’est-à-dire demain, a mis en place un dispositif d’intéressement aux bénéfices de l’innovation pour les salariés des firmes chinoises ?
L’innovation n’est pas du seul domaine industriel
Avec les technologies du numérique, toutes les activités de services sont également confrontées à cet impératif d’innover. Il n’y aura ni renouveau industriel ni croissance économique sans rémunération effective des inventeurs salariés.
• Philippe Schmitt (Avocat)