Une marque est d’abord un signe et ce signe pour constituer un enregistrement de marque valable doit être distinctif. La présence « # » dans une marque, ne constituerait-elle pas un nouveau risque d’invalidation si ce n’est de rejet de la demande de marque ?
Successivement le 5 septembre et le 12 septembre, le Tribunal de l’Union en application du règlement sur la marque de l’union puis la Cour de justice au regard des dispositions de la directive se sont prononcés sur des marques qui comprennent ce signe « # ».
Dans la première décision, le Tribunal a rejeté le recours contre un refus de l’EUIPO d’enregistrer la demande de marque portant sur le signe :
Cette demande d’enregistrement de marque vise uniquement des produits :
– classe 18 : « Cuir et imitations du cuir, produits en ces matières non compris dans d’autres classes, à savoir bagages, mallettes pour documents, sacs à dos, cartables, sacs à provisions, sacs décontractés, sacs, sacs de sport, sacs de plage, sacs à main, bourses, bourses de mailles, portefeuilles et autres objets de transport, porte-cartes (portefeuilles), étuis pour clés, coffrets destinés à contenir des articles de toilette dits “vanity cases” ; peaux d’animaux ; malles et valises ; parapluies, parasols et cannes ; fouets et sellerie » ;
– classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie ».
Notons tout de suite que la partie verbale ne présente pas de caractère distinctif , « le public concerné percevra l’élément verbal « best deal » uniquement comme un message ordinaire d’une grande banalité possédant une signification élogieuse à l’égard des produits en cause …. Par conséquent, l’élément verbal « best deal » est dépourvu de caractère distinctif. »
Restait donc à discuter la présence du signe « # ».
38 En tout état de cause, la chambre de recours a précisé que l’usage du symbole en cause à des fins promotionnelles dans tous les secteurs pouvait être constaté « de nos jours ». Elle a également relevé que, dans plusieurs décisions récentes, les chambres de recours ont estimé que le symbole « # » était dépourvu de caractère distinctif (point 25 de la décision attaquée). Elle a ainsi suffisamment motivé la raison pour laquelle elle s’écartait d’éventuelles décisions divergentes adoptées antérieurement par l’EUIPO.
39 S’agissant du bien-fondé de cette motivation, celui-ci ne saurait être remis en cause par les précédents cités par la requérante, …, la chambre de recours a considéré à bon droit que le symbole « # » n’était pas distinctif.
40 En outre, la circonstance que le symbole « # » ait été considéré comme étant descriptif pour des services de la classe 38 liés aux télécommunications ne permet pas de conclure, contrairement à ce que soutient la requérante, qu’il serait nécessairement distinctif pour des produits d’autres classes, et ce d’autant plus que l’usage de ce symbole à des fins promotionnelles s’étend à de nombreux secteurs …. .
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45 Il convient de souligner qu’il en irait de même si le symbole « # », pris isolément, était considéré comme étant distinctif. En effet, le signe demandé, pris dans son ensemble, serait compris par le public pertinent, du fait de la taille de l’élément « best deal » et de l’importance de cet élément dans la perception du signe par le public pertinent, comme véhiculant de manière directe et immédiate une indication de la qualité supérieure des produits désignés et non comme une indication de l’origine commerciale de ceux-ci.
Autrement dit, le symbole « # » n’est pas distinctif et pire encore pour le demandeur à la marque, sa présence fragilise la partie verbale du signe.
Le 12 septembre, la Cour de justice qui était saisie d’une question préjudicielle de la juridiction allemande, souligne également le risque que fait courir le symbole « # », en rabaissant la marque demandée à un simple message de communication sociale.
Le signe dont l’enregistrement était demandé devant l’Office allemand : #darferdas? . Pour des « vêtements (en particulier des tee-shirts), chaussures et chapellerie »
Certes la Cour rappelle que : « Il ne saurait a priori être exclu qu’un signe à mot-dièse (hashtag), tel que celui en cause au principal, soit propre à identifier les produits ou les services pour lesquels l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et satisfasse ainsi à la condition susvisée. Il est, en effet, possible qu’un tel signe soit présenté au public en rapport avec des produits ou des services et soit apte à remplir la fonction essentielle d’une marque, qui est celle d’indiquer l’origine commerciale des produits ou services visés »
Mais la lecture de l’arrêt souligne le risque d’une marque comprise comme un élément de communication sur les réseaux sociaux.
Très brièvement les circonstances de cette affaire. La juridiction allemande ayant rejeté la demande d’enregistrement, l’affaire est venue devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne).
La Cour allemande, semble-t-il, admettrait que ce signe soit admissible à l’enregistrement si puisqu’il « pourrait également être apposé sur l’étiquette cousue à l’intérieur des vêtements. Dans ce cas, le public pourrait percevoir ledit signe comme une marque, c’est-à-dire comme une indication de l’origine commerciale des produits’.
La Cour de justice n’accepte pour valider une demande d’enregistrement d’une marque composée du symbole « # »cette seule condition.
Le rappel de la position allemande telle qu’exposée à l’arrêt.
14 La juridiction de renvoi précise qu’il ressort de sa propre jurisprudence que, afin qu’un signe soit considéré comme ayant un caractère distinctif et comme étant dès lors apte à être enregistré en tant que marque, il n’est pas nécessaire que tout usage concevable de ce signe soit un usage en tant que marque. Il suffirait qu’il soit plausible et qu’il existe des possibilités significatives en pratique d’utiliser ledit signe pour les produits et services pour lesquels sa protection est demandée d’une manière qui permette au public de le percevoir sans difficultés en tant que marque.
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30 Cette juridiction a ainsi identifié deux modes d’apposition qui sont significatifs dans la pratique de ce secteur. Dans une telle situation, les autorités compétentes pour examiner la perception du consommateur moyen devront prendre en considération ces modes d’usage et apprécier si ce consommateur, en voyant ces deux appositions ou à tout le moins l’une de celles-ci sur le vêtement, percevra le signe en cause comme une marque.
Mais la Cour de justice ne suit pas cette analyse allemande :
31 Il appartiendra ainsi à la juridiction nationale compétente de déterminer si le consommateur moyen, lorsqu’il verra le signe #darferdas? sur le devant d’un tee-shirt ou sur l’étiquette apposée à l’intérieur de celui-ci, percevra ce signe comme une indication de l’origine commerciale de ce produit et non comme un simple élément décoratif ou message de communication sociale. …
Ce que dit la Cour de justice :
L’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le caractère distinctif d’un signe dont l’enregistrement en tant que marque est demandé doit être examiné en prenant en considération tous les faits et circonstances pertinents, y compris l’ensemble des modes d’usage probables de la marque demandée. Ces derniers correspondent, en l’absence d’autres indices, aux modes d’usage qui sont, au regard des habitudes du secteur économique concerné, susceptibles d’être significatifs en pratique.
L’arrêt de la Cour de justice du 12 septembre 2019
L’arrêt du Tribunal de l’Union du 5 septembre 2019