Protéines végétales et termes désignant la viande : l’impossibilité d’interdire en l’absence de définition légale

Protéines  végétales et termes désignant la viande : l’impossibilité d’interdire en l’absence de définition légale. Il ne resterait que la sanction après une appréciation des modalités concrètes de vente ou de promotion d’une denrée alimentaire qui induisent en erreur le consommateur.

Le Conseil d’État a saisi la Cour de Justice de différentes questions relatives à l’interprétation du règlement 1169/2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires à la suite du contentieux en annulation du Décret n° 2022-947 du 29 juin 2022, – nous en parlions ici, et ici quand il ne s’agissait que d’un projet -,  relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales, questions maintenues avec le second décret, celui n° 2024-144 du 26 février 2024, nos remarques au moment de Pâques

Mais ce règlement 1169/2011  a modifié plusieurs règlements antérieurs et les questions préjudicielles se référent à différentes directives. Autrement dit, c’est à un important corpus auquel renvoie l’arrêt du 4 octobre 2024 de la Cour de justice. L’arrêt du 4 octobre 2024

Au-delà des obligations à la charges des États membres

  • Assurer l’application de la législation alimentaire.
  • ​Contrôler et vérifier le respect par les exploitants du secteur alimentaire et du secteur de l’alimentation animale des prescriptions applicables de la législation alimentaire à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution.
  • ​Fixer les règles relatives aux mesures et sanctions applicables en cas de violation de la législation relative aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux.
  • ​Les mesures et sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

Et de définitions

  • Une « denrée alimentaire » (ou « aliment ») : toute substance ou produit, transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d’être ingéré par l’être humain.
  • ​Une « dénomination légale » est la dénomination d’une denrée alimentaire prescrite par les dispositions de l’Union qui lui sont applicables ou, en l’absence de telles dispositions, la dénomination prévue par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables dans l’État membre dans lequel la denrée alimentaire est vendue au consommateur final ou aux collectivités.
  • ​Un « nom descriptif » est défini comme un nom qui décrit la denrée alimentaire et, si nécessaire, son utilisation, et qui est suffisamment clair pour que les consommateurs puissent déterminer sa véritable nature et la distinguer des autres produits avec lesquels elle pourrait être confondue.
  • ​Un « nom usuel » est défini comme le nom reconnu comme étant la dénomination de la denrée alimentaire par les consommateurs de l’État membre dans lequel celle-ci est vendue, sans que de plus amples explications soient nécessaires.

Et de l’agencement de ces définitions….. avec les règles applicables à l’étiquetage

62      Premièrement, les denrées alimentaires doivent porter une dénomination. Deuxièmement, cette dénomination doit être une dénomination légale ou, en l’absence d’une telle dénomination, un nom usuel ou, à défaut, un nom descriptif. Troisièmement, ladite dénomination doit être précise, claire et aisément compréhensible par les consommateurs. Quatrièmement, la même dénomination ne doit pas induire en erreur les consommateurs, notamment, sur les caractéristiques de la denrée alimentaire concernée, au nombre desquelles figurent la nature et la composition de celle-ci, et sur le remplacement de composants naturellement présents ou d’ingrédients normalement utilisés par des composants ou ingrédients différents. Cinquièmement, de telles exigences doivent être respectées lors de la commercialisation et de la promotion de toute denrée alimentaire.

Mais qu’en est-il de l’existence de telles définitions dans le secteur de la viande ?

78      Or, force est de constater que le droit de l’Union ne prévoit pas de règle réservant à certaines denrées alimentaires, spécifiquement définies comme étant d’origine animale, l’utilisation de dénominations légales contenant des termes issus des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie, visés par le décret no 2022-947, ou par les termes énumérés à l’annexe I du décret no 2024-144. En outre, il ne résulte pas du dossier dont dispose la Cour que de telles règles existeraient dans le droit français.

En effet, les décrets français n’ont pas fixé de dénomination légale !

L’article 2 du second décret prévoit :

« […] il est interdit d’utiliser, pour décrire, commercialiser ou promouvoir un produit transformé contenant des protéines végétales :

1°      Une dénomination légale pour laquelle aucun ajout de protéines végétales n’est prévu par les règles définissant la composition de la denrée alimentaire concernée ;

2°      Une dénomination faisant référence aux noms des espèces et groupes d’espèces animales, à la morphologie ou à l’anatomie animale ;

3°      Une dénomination comportant les termes mentionnés dans la liste figurant en annexe I. »

( et la liste de l’annexe 1 comporte une longue liste de termes)

Ce que dit la Cour de cette situation

80      Partant, sous réserve de la vérification à laquelle il appartiendra à la juridiction de renvoi de procéder, conformément aux points 67 à 69 du présent arrêt, il convient de considérer que le décret no 2022-947 ne contient pas de « dénomination légale », au sens du règlement no 1169/2011, mais concerne le point de savoir quels sont les « noms usuels » ou les « noms descriptifs » qui ne peuvent pas être utilisés pour désigner les denrées alimentaires à base de protéines végétales. Aussi y a-t-il lieu de déterminer si ces notions sont expressément harmonisées par ce règlement, au sens de l’article 38, paragraphe 1, dudit règlement.

81      À cet égard, il convient de relever que l’article 2, paragraphe 2, sous o) et p), du règlement no 1169/2011 ne dispose pas que les États membres puissent adopter des mesures qui réglementeraient les noms usuels ou les noms descriptifs d’une denrée alimentaire déterminée, contrairement à ce que prévoit, s’agissant des dénominations légales, l’article 2, paragraphe 2, sous n), de ce règlement.

En l’absence de dénomination légale, Il ne resterait que les dispositions relatives à l’étiquetage au prix d’une lecture

     90 …..il ressort de l’article 1er,  paragraphe 1, du règlement no 1169/2011, lu à la lumière des considérants 1 et 3 de celui‑ci, que ce règlement vise à atteindre un niveau élevé de protection des consommateurs en matière d’informations sur les denrées alimentaires, dans le respect des différences de perception de ces consommateurs et de leurs besoins en information, tout en veillant au bon fonctionnement du marché intérieur, par l’adoption de dispositions de base.

91      Or, ce niveau de protection élevé risque d’être compromis si les dispositions relatives au remplacement, dans une denrée alimentaire, d’un composant ou d’un ingrédient par un composant ou un ingrédient différent ne s’appliquent pas lorsque ce remplacement concerne un composant ou un ingrédient qui est particulièrement important au sein d’une denrée alimentaire, voire qui en constitue le seul composant ou ingrédient. En effet, paradoxalement, le résultat n’en serait pas que la vente et la promotion de cette denrée seraient interdites par le droit de l’Union, mais que la protection des consommateurs dans de tels cas de figure ne serait pas harmonisée et donc pas assurée, alors qu’elle le serait lorsque le remplacement porte sur un composant ou un ingrédient moins importants.

92      Partant, il y a lieu de considérer que l’article 7, paragraphe 1, sous d), et l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011 couvrent également la question des informations qui doivent être fournies aux consommateurs lorsque la composition de la denrée alimentaire concernée devient complètement autre.

93      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence relative notamment à ces dispositions que le fait d’indiquer, à proximité immédiate de la dénomination de la denrée alimentaire, l’information relative au remplacement d’un composant ou d’un ingrédient suffit pour protéger le consommateur du risque d’être induit en erreur…..

….

95      Il n’en demeure pas moins que, si une autorité nationale estime que les modalités concrètes de vente ou de promotion d’une denrée alimentaire induisent en erreur le consommateur, elle pourra poursuivre l’exploitant du secteur alimentaire concerné, lequel, en vertu de l’article 8, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1169/2011, est responsable des informations qui figurent sur cette denrée et doit veiller à la présence et à l’exactitude de ces informations,.

Ces deux aspects se retrouvent aux réponses données par la Cour à son arrêt du 4 octobre

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1)      Les articles 7 et 17 du règlement (UE) no 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) no 1924/2006 et (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) no 608/2004 de la Commission, ainsi que l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011, lus à la lumière de l’article 2, paragraphe 2, sous o) et p), et de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de celui-ci,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils harmonisent expressément, au sens de l’article 38, paragraphe 1, de ce règlement, la protection des consommateurs du risque d’être induits en erreur par l’utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, constituées de termes issus des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales au lieu des protéines d’origine animale, y compris dans leur totalité, et, de ce fait, s’opposent à ce qu’un État membre édicte des mesures nationales qui réglementent ou interdisent l’usage de telles dénominations.

2)      L’article 38, paragraphe 1, du règlement no 1169/2011

doit être interprété en ce sens que :

l’harmonisation expresse constatée au point 1 du dispositif ne fait pas obstacle à ce qu’un État membre édicte des sanctions administratives en cas de manquement aux prescriptions et aux interdictions résultant des dispositions de ce règlement ainsi que des mesures nationales conformes à ce dernier. En revanche, cette harmonisation expresse s’oppose à ce qu’un État membre édicte une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels resterait autorisée l’utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, constituées de termes issus des secteurs de la boucherie et de la charcuterie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales.